Un voyage d'affaires a mené Neptune jusqu'à Vegas ; il avait pour projet de s'étendre une fois de plus en ouvrant une boutique de plus et il avait donc besoin de rencontrer du monde pour choisir le prochain emplacement. Il avait passé du temps à discuter, négocier, il en était fatigué et il voulait vite en finir pour passer à autre chose. Ses ambitions ne plaisaient pas forcément à certains de ses interlocuteurs et le dialogue a parfois été noué par divers agacements pour finalement se conclure par un décalage des négociations à un autre jour. Neptune haussa les épaules, campé sur ses positions et persuadé que sa solution serait la meilleure. Mais il accepta cette remise à plus tard car il savait pertinemment qu'il aurait donc un peu de temps pour lui pour penser à autre chose.

En vérité, Neptune avait d'autres chats à fouetter.

Il était tombé amoureux d'œuvres d'art, même s'il avait le coup de foudre facile. Pour lui, tout art était un luxe et c'était donc tout naturel pour lui de vouloir d'en procurer encore et toujours plus. Mais ce qu'il préférait, c'était en particulier de posséder l'artiste en lui-même. Le payer pour ses services, être son meilleur client pour, à côté, se faire un beau profit indirectement, c'était pour ça qu'il vivait. Et qu'est-ce qu'il adorait ces artistes anonymes cachés sous diverses identités, introuvables, irrattrapables… Le patron prenait toujours ça pour un jeu, et cette fois-ci, il était peut-être allé beaucoup trop loin.

Quand il quitta les bureaux puis le prestigieux bâtiment, l'homme s'empressa de… S'aventurer là où les gens comme lui n'allaient jamais. Il enquêtait en même temps qu'il désirait oublier ces longues négociations en s'occupant de trouver l'identité d'un mystérieux artiste. Il a eu des infos par des moyens très détournés, il a tenté de se renseigner, il a même bouffé des heures de lecture comme ça et… Et une nouvelle passion est née. Sauf qu'il était frustré de ne jamais poser un vrai nom sur les œuvres.

C'est ainsi qu'il se retrouva dans ce bar. Il voulait aussi tenter d'oublier cette envie de savoir, même si l'emplacement était un minimum réfléchi pour grappiller des informations. Il soupira, replaçant quelques mèches de ses cheveux derrière son oreille pour ne pas les avoir en pleine face quand il allait se noyer dans les verres. Autour de lui, ça discutait et Neptune se faisait timide, préférant tendre les oreilles en avalant l'alcool comme s'il buvait un grand verre d'eau. Ça papotait de tout et de rien, et parfois, un pseudonyme ressortait.

Ou alors Neptune se l'imaginait juste ; ce ne serait pas étonnant.

« Efferia… »

Tss... La merde.
C'est avec cette sensation de couteaux enfoncés dans ma caboche que j'ai fini par me tirer de la clinique. Un pied après l'autre, je me souviens du réveil tardif sur le canapé par Maran, susnommé le docteur presqu'un peu trop derrière moi.
J'imagine qu'il est indulgent, ou prend au sérieux ses ordres du vieux. Celui là même qui a tenté de me rappeler au téléphone il y a quelques heures. Certainement pour des histoires qui m'en touchent une sans bouger l'autre depuis l'autre côté de la carte.

D'un pas, je me suis contenté de contempler l'avenue du strip, débordante de ces gens allant et venant dans les différents établissements comme le feraient les neurones d'il était une fois la vie, mais en beaucoup plus lent.
Couplés aux lumières colorées, les environs modèlent cette atmosphère de consortium du divertissement de la nuit.
Ça en plus de moult fumées colorées émanant de la foule qui se mélangent suffisamment pour que ce soit difficile de saisir la moindre nuance.
Informe en somme.

Ce n'est pourtant pas là que se trouve le Root qui contraste avec la vie ici. Quelques rues plus loin, proche de ruelles aussi sûres que le sont celles d'Arkham City, se trouve le perchoir que je rejoins sans plus de cérémonie.
Le contraste est plus qu'obvious quand le bruit incessant et les couleurs aveuglantes sont remplacés par une allée sombre et silencieuse, perturbée par quelques rares néons violet au mur.

Je m'arrête deux secondes cela dit pour sortir mon cellulaire de la poche de mon manteau.
Comme ça.
Une envie subite de mater le blog tenu par le patron de ce bar : un amateur d'arts insolites (c'est le mot sympa pour ne pas dire étrange ou dérangeant selon l'américain moyen).
Hm,
En parlant d'insolite, l'artiste qui faisait de la peinture à l'huile sur des corps a été arrêté visiblement, un lien dans le thread redirige vers une news du journal local.
"L'homme qui peignait sur des cadavres arrêté."

Je materai plus d'autres travaux de sa part je suppose.

Je verrouille l'engin et le fourre dans mon vêtement en ouvrant la porte sans pancarte, ni écriteau, juste une porte ouvrant sur un bar bondé d'habitués aux looks cohérents avec l'ambiance : aussi insolite que les œuvres postées sur le site du gérant.
Autant dire que non seulement ma dégaine d'éclopé ne choque pas, mais que le citoyen lambda ne serait sûrement pas à l'aise ici.

Rien de neuf. Sans continuer à remarquer les fumées emmêlées et en saluant vitaf certains employés que je commence à connaître depuis le temps, je pose mon cul sur le comptoir à la même place dans le coin à droite lorsque la voix grave du chef barman sur la fin de sa quarantaine m'aborde.

- Ah, je m'attendais pas à te revoir ce soir Noba, je te sers quelque chose ?

Avec la race d'hier ? Sûrement. Tain... ça pique toujours. Besoin d'alcool.

- Un Whiskey Glaçons.

Répondé-je lentement en matant un des nouveaux tableaux accrochés au mur.
Et l'accent bien dégueu qui va avec, on a la compile du gag pour ce soir, mon interlocuteur en a même soufflé du nez avant de s'attarder à préparer mon alcool tandis que je sors un bâton de cancer de mon futal pour l'allumer incessamment sous peu et expirer une fumée blanchâtre tout de suite après.

En revenant sur la table un instant, mon verre glisse sur le bois et le manager avec sa coupe de cheveux unique et sa fumée jaune claire tamisée tente d'observer dans quelle direction mon regard se pose avant de comprendre qu'il s'agit du tableau.

- Il t'intéresse ?

- Vite fait.

- C'est la dernière toile à l'acrylique de Trevor Mentem.

- Je vois.

Je l'ai vu sur le blog, son style a changé. Pas qu'un peu d'ailleurs.
Il est passé du mignonnet pastel au trash flou.
Qu'est-ce qu'il se passe si un Bisounours prend un shoot avant de dessiner tout en écoutant du death métal ?
Ce canevas sur le mur en brique je pense. Bah, ça arrive souvent.

Je me prends donc une gorgée du liquide ambrée avant de tourner ma tête vers le reste du bar, là où mon globe oculaire trouve une silhouette non familière.
De longs cheveux blonds et lisse dans une tenue soigneusement repassée, sûrement luxueuse vu le bling bling des accessoires malgré la carrure massive. Ceci appuyé par ce surplus de maquillage ainsi que ses traits qui me rappellent certains serveurs du bar.

Il émane de lui un doré qui fait sens avec son apparat et sa prestance mais les variations et les saccades dissonantes sont intrigantes. Tout comme le nombre de verre sur le comptoir. Et le cul sec que je viens de voir.

- Belle descente.

Envoyé-je en écartant ma cigarette après une bouffée tout en tournant l’œil pas déglingué vers ses prunelles bleues.

Sa descente avait visiblement intéressé quelqu'un, assez pour qu'on vienne le déranger pendant sa pleine phase d'obsession sur un pauvre artiste. Lui, qui se cachait derrière une identité, ne pourrait tôt ou tard plus avoir de secrets pour la grande créature qui entamait une soirée plutôt arrosée. Il se rinçait le gosier soit pour rester concentré, soit pour oublier ce pour quoi il est venu ici en premier lieu. Mais quand il levait les yeux pour observer chaque toile, quelque chose lui criait dessus qu'il devait s'acharner.

Efferia, ce nom ne le quittait jamais. Il appréciait sincèrement son art, son style, sa façon de raconter les choses. Acquérir une pièce serait un rêve devenu réalité, mais il se connaissait, bientôt, il désirerait bien plus que ça. Ça hantera ses rêves, ses pensées, et il s'en mordra les doigts jusqu'à ce que tout empire.

« Merci. C'est affolant comment c'est devenu facile pour moi d'aligner les verres. »

Ce qui ne l'arrangeait pas, c'était son fric qui fondait comme neige au soleil. Aie. Il va devoir redoubler d'efforts pour gagner à nouveau ce qu'il allait perdre ce soir. Un dollar en moins dans sa bourse, c'était comme une terrible chute en enfer. Mais tout ce qu'il a dépensé là, il le retrouvera à un moment où un autre. Il en récupérera même le triple. Il avait confiance.

« J'suis pas encore assez bourré pour dire n'importe quoi par contre, j'espère que je ne vous déçois pas. »

Le blond a eu comme un éclair de génie, il devait rester un minimum sobre pour espérer enregistrer les informations qu'il pourrait grappiller ici et là. Et il avait hâte d'en savoir plus sur Efferia, qu'il souhaitait démasquer une bonne fois pour toutes. Juste pour satisfaire son égo et… Il n'avait pas pensé à la suite, en vérité.

« Je cherche quelqu'un qui pourrait me renseigner sur les artistes exposés, surtout Efferia. Je l'aime beaucoup. Ça a l'air d'être un chic type. »

Peut-être pas autant que lui, mais bon. Neptune ne savait pas vraiment tenir un crayon pour produire quelque chose d'artistique.

« Je veux tout savoir, les sites n'en donnent jamais assez. Je pensais le trouver ici… », dit-il en fixant son interlocuteur. Lui avait quelque chose d'atypique dans son allure, et son visage aussi. Ce n'était pas repoussant, au contraire.