Lâche. Il avait été lâche.

Il court dans l'obscurité. Il a le souffle coupé. Il peine à avancer. Trébuche. Se relève. Il est loin maintenant, mais les mots raisonnent encore. Il gêne. C'était de sa faute. C'était entièrement de sa faute. Ses mains tremblent et il s'efforce à faire un pas de plus, de continuer à aller de l'avant. Il pourrait peut-être trouver de l'aide, mais pour quoi faire ? C'était trop tard. C'était lui, qui aurait du y passer, c'était lui qui aurait du être emporté.

La scène hante son esprit. Elle se répète en boucle comme un disque rayé. Il revoit encore et encore la fin. Il se voit encore et encore condamner son héros. Il a envie d'hurler, de s'arracher ce qui lui reste de conscience. Le vent frais frappe son visage et la pluie commence à tomber. Elle emporte le sang de ses erreurs de ses mains. Pourtant, rien ne saurait le laver de cet échec.

Et puis, ta silhouette apparait dans un coin de rue. Il ne t'as jamais réellement porté dans son coeur, mais ce soir là, te voir était un soulagement. Pourtant, te confronter le terrifiait. Il n'arrive pas à aligner ses pensées, il peine à te rejoindre et pourtant, on aurait dit qu'il accourait. Il ne te laisse pas en placer une. Il n'est même pas capable d'entendre qui que ce soit : seul raisonne les adieux de Mordred. Il agrippe un pan de ton vêtement, la main tremblante, la veste ensanglantée.

Gabriel. Sa voix se brise en prononçant ton nom. Il ne pouvait pas te demander de combattre, ce serait te conduire toi aussi à la mort. Pourtant, il refuse d'y croire. Il veut sauver Fye. Il veut le sauver, quand bien même il l'a vu mourir sous ses yeux. Fye. Je. Il n'arrive pas à le dire. Il n'arrive pas à formuler ce qu'il refuse de croire. Il se met à hurler de tout se force. Pousse ce cri qui le hante.

C'est de sa faute.
C'est lui qui l'a tué.

Ta main froide venait à la rencontre de la sienne et ça l'a comme heurté. Il brûlait, il brûlait de ce combat, de la fièvre, des images qui l'engloutissaient. Le ciel pleurait et le cri d'Ezechiel était le tonnerre muet. Il lève le regard, pose ses pupilles sombres dans l'océan des tiennes. Il n'arrive pas à reprendre son souffle, il a l'impression de céder sous le poids du monde. Ta prise se ressert et il vacille. Son nom raisonne au timbre de ta voix et il ne semble être que l'écho d'un ange déchu. Il est porteur de l'horreur. C'est un chat noir et aucune nouvelle ne peut-être bonne. C'est peut-être pour ça, que Fye l'avait fui toutes ces années.

Où est Fye
C'était trop tard.

Où est-il ?!
C'était trop tard.

Que s’est-il passé ?
Bien trop tard.

Il se laisse glisser au sol. Le monde s'effondre, il entre en collision avec la réalité. Pourtant, il ne lâche pas ta main. Au contraire. Il te retient. Non pas parce qu'il veut que tu l'aides, mais pour ne pas que tu atteignes le point de non-retour toi aussi.Tu vas y rester. Il secoue la tête. Il entends encore Fye lui dire qu'il gêne. C'est trop tard, BIEN TROP TARD ! Il hausse le ton, se brise ce qu'il lui reste de cordes vocales. Sa voix est grave, brisé, comme ce combat mené en vain.

Je ne peux pas te laisser mourir toi aussi.
Il l'avait finalement dit. Il commençait à le réaliser. L'admettre. Les larmes refusent de couler, elle se noient dans l'abandon. La pluie efface les traces de ses pas, elle emporte l'odeur du combat, se glisse sous son corps.

Mordred n'est plus.
Son héros n'est plus.

Terrible sont les frissons qui le traversaient à ces mots. Il sait, Gabriel, que tu veux le voir, le sauver, y croire encore, mais, il avait assez perdu pour ce soir.

Alors avec toi aussi, il sera lâche.

A chaque fois qu'il courrait derrière l'ombre de Fye, elle s'effaçait. A chaque fois qu'il pensait l'avoir attrapé, il s'évadait. A chaque fois qu'il pensait l'effleurer du bout des doigts, il l'abandonnait. Et cette fois-ci, c'était la dernière fois. Il n'y avait plus de retour en arrière, plus de dispute fraternelle sans aucun sens, plus de dos à regarder. Il pensait à leur soeur, leurs parents, comment serait-il capable de l'annoncer ? Que pourrait-il bien dire ? Il avait promit à Solveig de veiller sur lui pour elle. Il n'avait fait que le gêner.

Et les mots de Gabriel raisonnent.
Le sauver. Comme s'il restait quelque chose à sauver.

Il tombe aux côtés du plus jeune, la chaleur de Gabriel est froide et désolée, mais elle reste réconfortante. Parce qu'il n'était plus seul, il n'était plus le seul à pleurer Fye. Il s'excuse. C'est moi qui suit désolé. C'est à lui de s'excuser. C'est moi qui n'ai pas su le protéger. C'était lui, son écuyer, son bras droit, son bouclier. Je suis désolé, d'être si faible. Il s'est battu, pour réaliser qu'il n'avait aucune force. Aussi fragile qu'un morceau de verre déjà éraflé.

Prêt à se briser à tout instant.

Il faut te soigner.
Il regarde ses mains. Il avait oublié à quel point son corps avait été poussé dans ses retranchement. Son souffle était encore imparfait et il en avait trop usé. Alors qu'il pouvait faire disparaitre bien des plaies, même les plus simples et superficielles des éraflures demeuraient. Il serra du poing. Cette fois-ci, il n'utiliserait pas sa particularité. Il ne veut pas l'effacer. Il ne veut pas l'oublier. Il est triste en colère. Contre le monde, contre lui-même. Frappe-moi, Gabriel. Il en a besoin. Remet-lui les idées en place. Il va exploser encore une fois sinon. Tu as le droit de m'en vouloir. C'était à lui de le protéger et personne d'autre.

Etait-ce parce que le combat avait bien trop duré ? Qu'il avait erré indéfiniment ? Ou bien, que Gabriel avait fait s'évaporer le temps ? L'aube commençait à pointer le bout de son nez. La fin d'une nuit d'horreur. Ezechiel leva les yeux au ciel. Je veux devenir plus fort, Gabriel. Je veux devenir bien plus fort. Il veut être à la hauteur de promesses qu'il à faite. Je ne veux plus jamais perdre. Plus jamais dire adieu à quiconque. Et je retrouverais ce démon. Sa colère se heurtera à celle du coupable, à celle du montre de la Colère. Et je tuerais. Je le jure. Plutôt mourir que laisser son crime impuni.

Quels droits avaient-ils face à la mort ? Aucun. Gabriel avait raison et Ezechiel le savait mieux que quiconque. Ils ne pouvaient rien faire si ce n'est qu'accorder quelques prières à ceux qui partaient. Quelle ironie que les anges n'aient pas su protéger leur bien-aimé. Ils n'avaient pour faveur des cieux, que les consonances de quelques syllabes égarées. On venait de leurs arracher les ailes. Désormais, ils devaient apprendre à voler sans. Pour le plus jeune, il n'a jamais connu la vie sans Fye. L'océan pouvait les séparer qu'ils ne s'étaient jamais perdu de vue. L'horizon n'était rien, la mort fût de trop.

Gabriel refusait de laisser le cadet porter le poids de la vie. Refusait cette unique demande d'être puni pour avoir échouer à tenir ses promesses. Persuadé qu'il ne détesterait encore un peu plus, il s'est trompé. Le désespoir est commun, la tristesse partagée, les pertes douloureuses.

Il méritait mieux.
Que de mourir pour un cadet comme lui.
Que de perdre la vie pour l'incapable qu'il est.

Ezechiel n'a jamais eu une très bonne estime de lui-même. Ses sourires sont d'apparences, son égo factice. Il est toujours resté dans l'ombre de celui qu'il admirait et maintenant qu'il ne pouvait plus s'y cacher, il avait la sensation d'être à découvert. Le monde se rendrait compte qu'il n'est rien. Qu'il ne vaut rien. Oh, Ezechiel. Terrifié de briller par lui-même, horrifié qu'on puisse l'apercevoir. Il allait devoir sortir de son ombre pour annoncer la pire des nouvelles.

Comme une envie de vomir.
Il a le vertige rien qu'à cette idée, mais il essaie de le cacher.

Lorsqu'il prit la main de Gabriel pour se lever, il fût illuminé par les premiers rayons du soleil. Ah. Comme si tout n'avait été qu'un mauvais rêve. Pourtant, les plaies sont encore-là et, le sang, toujours imprégné dans ses vêtements. Avant ça. Il jete un coup d'oeil derrière lui. Il doit être parti... Désormais, le montre devait s'être échappé face à la force de l'aube. Je veux le récupérer. Ezechiel devait prendre appuie sur son compagnon écuyer pour avancer. Désolé de te faire subir mes caprices. Il le sait, il n'est ni raisonnable, ni compréhensif : il n'en a pas envie. Pas maintenant.