Cela fait plusieurs jours que tu la suis... Jun Ishizaki, un souvenir d'il y a plusieurs années maintenant. Pour toi dont le temps n'a aucune emprise, tu développes des obsessions qui perdurent décennies après décennies - et quand vient le temps où un tiroir de souvenir se referme, tu décides d'en rouvrir un autre au hasard. Ces dernières semaines, c'était le sien. A croire que toutes les proies que tu épargnes deviennent des protecteurs affirmés, membres des chevaliers. Les humains se gonflent d'égo pendant que tu te prélasses d'ennui. S'ils sont incapables de venir te chercher, tu te présenteras à eux de bon gré.

En service depuis quelques heures dans son restaurant préféré à Chinatown, tes collègues ont encore du mal à assimiler ta présence. Mais étrangement tu sais exactement ce que tu fais, attrapes les assiettes pour les amener à table. Bien sûr, quand elle rentre enfin, tu ne regardes qu'elle. Ce n'est pas toi qui prend sa commande mais c'est toi qui lui apporte son plat. Quand tu poses le bol devant elle, tu peines à réprimer un rictus affamé.

— « Et bon appétit, mademoiselle. »

Tu tournes les talons. Elle t'appelle et tu restes d'abord immobile, de dos. Les poings qui se serrent lentement à en faire couiner le cuir de tes gants. Tu te retournes. Les cicatrices au coin de la bouche déforme ton sourire déjà bien trop grand.

— « Ah oui ? Comme c'est curieux. »

Tu passes tes doigts dans ta chevelure pour la plaquer en arrière.

— « Votre visage aussi m'est familier. Bien qu'il ait vieilli, un peu. »

Tu tapes dans tes mains pour l'interrompre, quand bien même elle n'avait pas encore engagé la parole.

— « JE SAIS ! Seriez-vous une star de cinéma ou une femme d'affaire qui a débuté la politique ? »