Désabusée, râleuse, pragmatique, rabat joie. Connasse. Ce sont souvent les mots qui viennent à qui le veut quand il faut décrire Yekaterina. Parce qu'elle n'aime pas les gens. Les gens c'est chiant, les gens ça se croit au dessus de, c'est arrogant. En somme les gens c'est bon pour faire comme les bébés : geindre, manger, et faire ses besoins. Fragiles, inconstants. Mais à la différence des bébés, eux peuvent agir avec ce qu'ils appellent la raison, et trahir sans vergogne autrui. Donc Yeka désteste les gens. Elle a un passif et elle n'est pas du genre à donner sa confiance au premier inconnu.
Elle déteste l'injustice d'ailleurs. Surtout quand ça concerne sa meilleure amie. On essaie de flouer Mag's ? Autant dire que quand vous avez rigolé face à la scène des piranhas dans Mercredi, vous pouvez vous attendre à un ressort de même acabit de la part de la polonaise. Mais tout ceci cache aussi un sacré mal être. Yekaterina ressent parfois le syndrôme de l'imposteur, parce que des gens brillent plus qu'elle, alors qu'elle met les bouchées double, ou fait le même travail qu'eux, avec moins d'amour et de reconnaissance. Elle a beau être une louve solitaire la majorité du temps, elle aussi a besoin qu'on lui dise que ce qu'elle apporte a du sens. Ce n'est pas une bavarde, mais pas non plus une taiseuse. Elle ne parle pas pour rien, et n'hésite pas à l'ouvrir pour recadrer la personne la cherchant un peu trop, ou essayant de se dorer le postérieur au détriment d'autrui.

En ce qui concerne sa famille, elle n'a gardé de liens qu'avec sa mère. Le reste existe plus vraiment vu qu'ils veulent plus entendre parler d'elle. Parce qu'ils ne supportent pas le fait qu'elle ne veuille pas procréer pour pérenniser la lignée familiale, qu'elle se teigne les cheveux, s'intéresse à l'église de Satan, et s'habille comme un cadavre (à savoir qu'elle arbore son style goth). Mais elle s'en fout. Elle les maraboute chaque soir qu'elle peut, si elle en a encore l'énergie.

Et l'énergie, elle en manque. Elle en a juste assez pour s'occuper de ses plantes, ses araignées, vivre à plein temps sa passion avec Mag's. Et bosser. Bosser pour un ingénieur de recherches qui a le chic de juste lui dire "oui" alors qu'elle lui demande si elle doit intégrer un process d'encapsulation à l'alginate avec en association de l'éthylène glycol pour espérer sauvegarder des cellules de Punica Granatum. Mais bon, c'est ça être adulte. On peut pas être envoyée dans l'espace pour cultiver des champignons loin de toute cette débilité ambiante. Alors on sur-vit avec ce qu'on sait faire de mieux, et en se raccrochant un peu à ce qu'on aime. Du genre Mag's, sa meilleure amie. Cette petite bulle qui arrive à lui soutirer ses rares et francs sourires.

Yeka est une grosse fan de tout ce qui est thriller, et fantastique morbide. Les mythes de l'ankou, Cthullu, elle adore ça. Lovecraft ou Poe, elle a tous les récits. Stephen King alors là ... Le satanisme aussi, vu qu'après tout elle va parfois à des séances de l'église de Satan. C'est d'ailleurs par leurs passions communes pour le surnaturel et les faits divers non résolus que les deux colocataires et amies d'enfance ont décidé de monter une chaine youtube : Spectral Syndrom. Elles ont d'ailleurs pu acquérir une bonne notoriété dans le milieu. C'est elle qui s'occupe des scripts et des choix musicaux.

Mon histoire, je la commence par une cassette. Une cassette dont les ronds ressemblent aux lunettes de celle avec qui je partage ma vie, ou du moins ce qu'il me reste de vie. Avec un son crépitant comme les particules à l'écran, des yeux grands ouverts et des bras entrelacés pendant qu'on se bourrait de tacos. Parce que c'est là que j'ai pris conscience de ce que je suis actuellement.
Mais ce serait aussi occulter l'une des raisons principales de ce changement : Mag's. Elle qui a débarqué dans ce quartier soi disant fait pour la mixité sociale, alors qu'en réalité on savait tous qu'on servait de faire valoir aux bobos poussant toujours plus la gentrification avec leurs minables boutiques de cupcakes miniatures ou cafés couleur crotte de chien. Depuis deux générations, ma famille s'est installée à San Francisco. Mais disons que par la force des choses, et le miracle d'avoir eu une mère enceinte jusqu'à l'os partie inconsciemment voir sa famille en Pologne, je suis née à Varsovie. Je vous laisse imaginer le fatras administratif pour ma nationalité. Enfin bref. Mag's. Elle était toute timide et moi, déjà désabusée par cette vie qu'on m'imposait, à savoir être l'enfant prodige qui élèvera socialement sa famille de sa pauvre condition. Au milieu de ce brouahaha adulte et d'enfants qui avaient des passions autres que les notres, on a fini par se rapprocher. C'est cette petite soeur que j'ai jamais eu, même si techniquement, elle est plus grande que moi. Et autant dire que quelqu'un la cherchait, lui disait de se conformer à ci ou ça, ou de lui voler ses lunettes, je ne prenais pas des gants. Je dois avouer que je suis même fière de m'être retrouvée dans le bureau du directeur après avoir mordu jusqu'au sang ce tocard d'Eugene qui avait poussé Mag's au point qu'elle se soit foulée la cheville dans les escaliers.

Un soir, on a décidé de fouiller durant une excursion de l'horreur de fouiller le grenier de la maison de Maggie. Et on a trouvé cette cassette. La fameuse cassette. The Thing, ça vous dit quelque chose ? 1982, en plein Antarctique. Un début catastrophique et infâme, où un homme tente de tirer sur un chien. Une explosion suite à une maladresse et surtout à cause d'une terreur qu'on ne comprend pas. Abattu froidement, et laissé à terre par ces Américains qui découvriront plus loin un camp ravagé, brûlé ... et cet énorme bloc de glace. Mais ils ne savent pas qu'en cet instant, la raison de la terreur de cet homme qu'ils ont abattu froidement, est déjà avec eux, et prête à tous les massacrer. Du grand Carpenter. Noir, tenant, affreux. Parce que la peur du différent, du différent de surcroit dangereux, rend toute cette équipe capable du pire ... et de faire d'eux des monstres pires que ce qu'ils redoutent. C'est là que j'ai su que ce serait ma passion. Le monstrueux, le mystère ... cette fameuse barrière qui nous sépare de cette prétention qu'ont la plupart de se croire plus humain qu'autrui. J'ai commencé alors à me pencher avec ma binôme et complice sur ces sujets. Le surnaturel, cette capacité que l'homme à d'imaginer le pire, et de se complaire dans un bonheur fugace et un espoir immatériel représenté par leurs dieux. Mon rouge à lèvres offert par ma mère a fini par devenir du noir. Le khôl a forcé le trait de mes yeux. Mes bijoux ont pris des teintes bleues, violacées, ou noires. Et mes goûts musicaux sont passés des balades mièvres aux mélancolies criées dans une décadence de sons violents et puissants.

Je suis devenue une goth. Et je le suis restée. Mes choix ont fait vriller ma famille qui a rongé son frein parce que je restais une élève studieuse et complimentée par tous ses professeurs. Les gens m'ont moquée en me traitant d'émo, de névrosée, de marginale, de rat de bibliothèque. En somme, une "outcast", une mauvaise fille. Autant dire que ça me faisait plus d'air pour respirer et de toutes manières, Mag's me suffisait. Le reste ne valait pas plus que des cafards ou des nématodes Pheromermis. C'est donc comme ça, sans mal et avec une réputation de sorcière, barbare, que je suis arrivée à l'université. J'ai commencé à m'intéresser à la biologie, et plus particulièrement la biologie végétale, de laquelle je suis sortie major de ma promotion. Et tout ça pour quoi ? Pour devenir l'assistante ingénieure d'un trou de balle incapable de me donner des directives propres et manager son labo. A côté de ça, j'ai pris mon indépendance depuis un temps, en prenant sous mon aile Mag's, qui a été expulsée de chez elle. En soi, on a toutes les deux été reniées parce qu'on ne se conformait pas aux cases et exigences imposées par nos figures parentales. Ça nous a coûté en embrouilles et problèmes financiers mais au final, on est maintenant colocataires dans cette superbe maison à loyer cassé, parce que le lieu est hanté d'après les dires du proprio. Une aubaine, sachant qu'on est fans de ce genre de came. C'est d'ailleurs sur ça qu'on a commencé à faire nos premières vidéos et podcasts qui ont donné au final Spectral Syndrome. Depuis, on se ménage des temps pour chasser les mystères entourant notre ville, les alentours et parfois plus loin. On parle des mythes, des traditions "paiennes", décortique le moi profond de l'humain, qui passe sous la plume écrite ou dessinée des artistes. Je décortique avec Mag's les théories, pour trouver une finalité séparant mythe et réalité en écrivant nos scripts. Pour les diffusions ou la lecture, on se sépare le travail équitablement, en faisant en sorte de récupérer les sujets quand ceux-ci nous plaisent plus qu'un autre. Après cinq ans de travail et de passion, on a acquis notre notoriété dans le milieu du paranormal. Moi, je fais des expériences sur des plantes, dans le bunker qu'avait installé la personne qui s'est suicidée dans cette bicoque, et j'élève des araignées.

J'avoue que depuis un temps, il y a des trucs louches qui se passent en ville et sur lesquels on enquête, même si comme d'habitude ça agace les autorités locales. Ça sent le sapin. Et quand on voit des gens complètement démembrés, vidés de leur sang ou des impacts qui ont rien à avoir avec des explosions conventionnelles, ça me dit qu'enfin, il y a cette ligne que j'ai toujours cherchée qui se dévoile : ce qu'on appelait surnaturel se rapproche de l'humain, et je suis bien décidée à la dévoiler.

Pseudo : Hipponoé
Âge : 29 ans
Pronoms : Elle
Commentaire : Vous nous avez donné du pain béni pour notre sujet. uwu