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Sorry i don't aim to please

Aujourd'hui, c'est soirée pizzas. Soirée flemme, soirée films d'horreur comme on en fait assez souvent. Notre rituel, où on choisit deux films vus ou pas encore vus, vieux comme récent en essayant de faire en sorte que la balance du nul et du bon reste en perpétuel équilibre. Parfois c'est avec un à peu près bon qu'on finit, et par un mauvais qui vous fait vous poser des questions sur le personnel et le casting derrière. Parfois c'est une nullité sans nom qu'on n'a jamais osé regarder, contrebalancé ensuite par un classique qui nous fait crier au génie, ou crier seulement. Bref, c'est à moi d'aller chercher les six pizzas que l'on s'enfilera ce soir. Dans cette pizzeria où je n'aime pas aller, parce que d'une ça me fait marcher et de deux, je dois sociabiliser avec un peu plus d'interactions que ce que j'offre habituellement à un livreur. Trois, je sais que Mags m'oblige aussi à y aller pour que je vous que Machin est quelqu'un de bien. Machin, c'est Lionel Vance.

Aka le lâche, aka le sans couilles, aka je m'excuse pour un rien, aka je ne comprends pas pourquoi Mags l'aime bien. J'arrive devant la vitrine, puis regarde la devanture fixement. Une vingtaine de secondes après, je me mets à soupirer bruyamment, parce que je me prépare psychologiquement à voir le gérant, et Machin Bisounours. Je pousse enfin la porte.

— Bonjour.

Personne à la caisse. Personne attablé. Je suis venue assez tôt pour avoir le moins de contact physique avec tout individu qui me donnerait envie de gerber au moindre toucher. Mais ... dès que je mets le nez dans la pièce, il y a une odeur de brûlé, puis j'entends qu'un fou a lâché et que c'est la merde, qu'un des gars doit fissa aller chercher Angel chez lui pour qu'il bidouille la machine et la remette d'aplomb. Je fronce les sourcils et tire sur les bretelles de ma jupe avec agacement, sentant déjà la merde arriver.

— Bonjour, c'est Morawski. Je viens chercher la commande de six pizzas pour 17h.

Solide sur mes appuis et le menton relevé j'élève un peu plus la voix en entendant le gérant gueuler des trucs en mexicain qui ont l'air de s'adresser à quelqu'un en particulier. Je sais pas ce qui s'est passé, mais je comprends qu'il soit aussi hystérique qu'un macaque à qui on vient de violer le territoire. Mais ça sert à rien de gueuler aussi parce que ça ne relancera pas son putain de four.

— Est-ce que les pizzas sont prêtes, ou vu la situation je me dois d'aller chercher ailleurs, histoire qu'on gagne tous du temps.

Yeka & Lio

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Sorry i don't aim to please

L'odeur de brûlé qui au départ n'était qu'un mince filet flottant dans la pièce, finit par prendre corps et m'oblige à constater que je n'ai plus vraiment le choix : je dois ouvrir cette porte d'entrée si je ne veux pas finir intoxiquée au monoxyde de carbone et surtout parfumée à ces restes qui, quelques minutes auparavant, étaient encore de la nourriture viable et passable au goût, comme au visuel. Oui, ce n'est pas les meilleures pizzas qui m'ont été données de manger, mais comme je veux faire un effort pour Mags, et que tout de même leur vegan chili et leur calzone vegan sont les seules que je cautionne, je suis ok. Juste ok. Le genre qui met un trois étoiles sur Tripadvisor ... même si je serai bien tentée d'en mettre deux, dans la réalité. Je recule donc de quelques pas, fronçant du nez et retroussant mes lèvres de dégout; et je m'empare de la poignée de porte pour enfin apporter un peu d'air frais dans ce puant hécatombe culinaire.

C'est là que Lionel débarque, et que j'ai une désagréable sensation de désespoir qui hante autant mon corps dans chaque entrelacs que dans ma bouche, dont l'amertume ne fait que s'amplifier. Lionel Vance. Un homme que l'on peut difficilement ignorer de par sa taille et sa corpulence, mais qui pourtant fait tout pour avoir l'air d'un surmulot que l'on est en train de piquer aux impulsions électriques. En soi, ce n'est pas un mauvais bougre; et là vous allez me dire que c'est gonflé de ma part de le traiter ainsi, alors que c'est un adorable garçon, au final. Mais depuis notre première rencontre de par l'intermédiaire de Mags, il m'a gonflée. Toujours à dire désolé, toujours à dire que tout est de sa faute, qu'il ne veut pas s'imposer, à être aussi passif et inutile que l'attaque trempette d'un magicarpe quand il faut prendre une décision. Lors du premier contact, j'ai mis ça sur le coup de la timidité. La seconde fois, puis la troisième, j'ai finalement statué que soit ce gars est un sacré masochiste, soit le genre Caliméro qui n'a trouvé que comme bonne excuse qu'il est nul en tout pour ne pas faire d'efforts. Donc, je n'ai pas une haute estime de lui et je ne comprends pas pourquoi Mags continue de le fréquenter. De surcroit, je m'en méfie. Je n'ai pas envie qu'au final cette attitude se révèle sous jacent, une couverture pour ensuite misérabiliser ceux qui entoureraient l'individu. J'ai déjà vu ça, et tant que je ne saurai pas de quel bois est fait ce mec, je ne l'accepterai pas.

Donc. D'une part, les pizzas sont cramées, de deux, je dois subir la présence d'une personne qui a la confiance de ma meilleure amie, mais à qui je ne fais absolument pas confiance, et de trois ... c'est sans doute, sûrement, les pizzas commandées qui sont cramées. Conclusion, je dois rester jusqu'à ce que le four soit de nouveau en fonction vu que connaissant son patron, il va refuser d'effectuer un remboursement parce que c'est un chacal.

— On sait très bien pourquoi tu me proposes ça.

Mon pied coince la porte, pied que je regarde consciencieusement car la vision de ma botte est plus agréable que cette hécatombe se trouvant de l'autre côté du comptoir. Mais je finis par relever mes mires pour les planter dans celles de Vance, avant de tout bonnement lâcher la porte et m'avancer vers lui, avec toute l'assurance et l'intimidation qu'il m'est possible de fournir de par mon attitude.

— Tu essaies de m'amadouer avec un geste commercial. Sauf que tu sais pertinemment que dans les faits, tes seules options, c'est soit réduire le prix des pizzas, mais manque de bol ça voudrait dire faire de même pour tous les clients qui vont finir par arriver dans les heures qui vont suivre, car le technicien à cette heure ne va pas être disponible sur le champ ... soit me rembourser intégralement pour que j'aille dépenser ces sous que j'ai durement gagnés chez un de vos concurrents.

Mes mains s'apposent alors sur le comptoir, dans une petite frappe de doigts. C'est une bagarre de regards à présent, même si je suis déjà donnée gagnante dès le départ. Car je n'y vais pas par quatre chemins.

— Et qu'on se le dise, Vance, ton patron est un chacal quand il s'agit de remboursement.

Mes sourcils se froncent et un sourire mauvais commence à étirer mes lèvres. Est-ce qu'il a réfléchi un tant soi peu avant de parler de geste commercial ? Mais peut-être qu'il va me donner tord, et qu'au final il aura une idée géniale à me sortir de son bandeau magique. En tout cas, pour le moment je n'ai pas de pizzas, et encore moins l'argent donné dans cet échange capitaliste pour que l'on me délivre en retour le service demandé.

— As-tu une autre brillante à me proposer ou est-ce que je dois forcer la caisse pour récupérer mon fric tant que ton boss est en train de geindre et insulter les murs de cette bicoque ?

Yeka & Lio

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Sorry i don't aim to please

Quand on se sent lésé, on a généralement l'habitude de s'emporter, d'en demander plus que la demande initiale. Toujours plus. Car après tout, dans l'histoire, il ne faut pas oublier que le lésé paye doublement. Dans le cas présent, je n'ai pas mes pizzas à heure dite, j'ai fait le déplacement à mes frais, et maintenant je me dois d'attendre avec des chilis et des desserts. Je reste interdite, alors que Lionel arbore un sourire on ne peut plus sincère face à ce qui est, selon lui, une brillante idée. En soi, dans les faits, c'est vrai. C'est une bonne tentative. Et je me dois de le souligner, ne serait-ce qu'un peu. Pour la forme. Fais un effort Yeka. Ne deviens pas ce que tu combats. Mes yeux se plissent, tandis que j'inspire pour me lancer dans cette réponse qui se doit d'être la moins cinglante et la plus posée possible.

— Dans les faits, Vance, c'est bien trouvé. Dans les faits. C'est un moyen de combler la faim, le temps que, peut-être, on puisse voir nos pizzas. Sauf que tu as oublié plusieurs choses. Là, tu me proposes l'entrée et le dessert contre six pizzas garnies, dont deux avec supplément.

Mes doigts tapent sur la surface en prenant au fur et à mesure un rythme digne d'une marche militaire. Je reste impassible ne montrant pas à quel point, au delà de ces détails techniques, je suis indignée par le manque de tact de son patron. Car, je n'ai pas envie qu'il pense que je suis ne serait-ce qu'un peu gentille avec sa personne.

— D'ailleurs, tu n'es pas censé être à la livraison, à la caisse, ou substantiellement, parce que ton patron est définitivement un chacal incapable d'assumer le fait qu'il a besoin d'un autre employé, au ménage ?

Il pense sûrement que je ne m'intéresse pas à lui. Qu'à mes yeux, il est un parasite profitant de la gentillesse de Mags. Il n'aurait pas tord. C'est ce que je pense, pour le moment. Mais je sais observer. C'est un peu beaucoup un prérequis, dans mon métier. Et je sais selon les dires de Mags que plus il est loin d'un appareil du genre, mieux le monde s'en porte. Je force un sourire, qui sonne faux et assassin. Il doit se douter de ce que je m'apprête à faire.

— Appelle Patricio.

Je ne cesse de le fixer, même si je suis à deux doigts de perdre mon sourire de façade, face à son manque de réaction.

— Maintenant.

Là c'est un ordre. Dès lors que Lionel se bouge, je prends appui sur le comptoir et passe de l'autre côté, non sans ouvrir la caisse et récupérer mon fric. Mon but ? Prendre en otage mes sous, ce qui est quand même vachement contradictoire. C'est mes billets, après tout. Puis je repasse fissa de l'autre côté, une fois mon "larcin" rondement mené, attendant maintenant que Patricio se montre. Là, les choses sérieuses vont enfin commencer. Il va se croire en position de force, mais ça, c'est mal me connaître.

Yeka & Lio

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Sorry i don't aim to please

Certes, j'ai des méthodes conventionnelles qui peuvent secouer des mecs comme Lionel. Je ne suis pas du genre à me laisser marcher sur les pieds, et encore moins à me laisser endormir par de douces paroles. Et si ça ne plaît pas, autant dire que les personnes n'ont aucune raison de faire partie de mon cercle de fréquentations. C'est d'ailleurs ce qui me fait dire que je n'irai plus jamais chercher ces foutues pizzas pour Mags. Le patron, peu content de m'avoir vu piquer dans sa caisse, se met à me hurler dessus. Il me menace d'appeler les flics alors que concrètement, on sait tous les deux que je l'ai juste forcé à faire ce qu'il aurait dû faire. C'est d'ailleurs pour ça que je ne peux m'empêcher d'hausser les sourcils et le regarder comme si il s'agissait du plus grand des abrutis, pendant son petit speech. Je n'ai pas peur de la taule de surcroit, parce qu'on sait que ce n'est pas moi qui serait en tord. Bon si, j'aurai une part mais ... le fait qu'il dise qu'il y ait une caméra, et une seule caméra me met la puce à l'oreille.

Je vois cependant que la situation dérape pour Vance, qui semble prendre mon parti malgré tout. Et là, je vois que des couilles lui poussent, en fin de compte. Je reste interdite et j'attends que la situation se tasse. Qu'on me passe mon argent, que Lionel s'en aille en boudant parce que son patron a dû lui dire de partir parce qu'il pourrait trouver un autre bien plus efficace que lui, que c'est un bon à rien ... blablabla. Connard. Pendant ce temps là, j'ai tout mon temps pour parfaire mon petit numéro et repérer la présence de la caméra. Bref, je me retrouve seule dans la pièce quand les deux ont fini de divorcer pour la énième fois, avec Lionel qui est au bord des larmes. Merde, je me sens un peu coupable mais ... non. Je soupire bruyamment et je passe à autre chose. Vance arrive à ma hauteur et évite de me regarder, comme un gosse vexé. Je pivote un peu sur mes talons, prise dans cette agaçante torpeur où je me sens ennuyée par ce besoin de spécifier que ce que j'ai fait est mal, et cette légère culpabilité qui me prend au coeur car je vois ce visage d'habitude doux et rondelet, tordu par les larmes qu'il réprime.

— Cool. Cool cool cool cool cool.

Vu mon manque de réponse, et surtout mon détachement ostensible face à la situation, il passe le pas de la porte, pas vraiment content. C'est là que j'agis, en toute discrétion et en toute efficacité. Suite à mes calculs de surface, je sais que je suis à hauteur de mains pour récupérer la caméra (et donc sa carte SD) si je me mets sur deux chaises. Deux chaises préparées en amont quand les deux amoureux s'engueulaient. Une fois perchée, je la détache et sors le précieux sésame de son encoche. Puis, je remets discrètement les chaises, je laisse un faux indice qui va lui faire croire que c'est les gosses du quartier qui ont voulu l'emmerder (comme j'ai pu l'observer maintes fois déjà, vu que Patricio a une réputation d'enfoiré dans la zone) et je sors de sorte à ne pas faire de bruit. Mission validée. J'arrive dehors, faisant voler l'objet technologique dans ma main, avant de le fourrer dans la poche de ma jupe à bretelles. Je suis plutôt  fière de moi, sachant que même en utilisant des moyens litigieux, je venais de donner une bonne leçon à cet abruti de rapia. Je me mets à sourire faiblement, contentée par cette situation qui, il faut le dire, vaut son pesant d'or. Et je vois que finalement, il n'est pas parti. Il rumine sur son véhicule, essayant sans doute de ne pas pleurer. Alors j'avance, j'avance et je casse entre mes doigts la carte SD avant de lui tendre dans un geste prompt à la provocation.

— Arrête de bouder. Tu vois ? C'est réglé.

Je fronce ensuite les sourcils car je le vois me regarder avec un air empli de jugement et de reproches. Oui bon ok, il est anxieux en phase de stress, tout ce qu'on veut. Mais je vais vite le calmer. Je jette sèchement la carte et écrase ce qu'il en reste sous mes talons, en prenant bien soin de piétiner, et la réduire en morceaux.

— C'est ton choix Vance. Toi, tu la joues chevalier médiateur qui ne veut pas se mouiller. Moi, je choisis de faire valoir mon satisfait ou remboursé par la force, puis de donner une bonne leçon à un connard égoïste et voleur, qui de surcroit m'a menacé.

La carte SD craque sous mon pied, je la récupère en m'accroupissant. Puis, je me redresse et remonte mon regard incisif et méprisant pour croiser le sien.

— Oh, et si tu as peur de perdre ton boulot, ne t'inquiète pas. J'ai fait en sorte qu'il croit que ce sont les gosses du quartier qui lui ont encore volé un truc. Comme ça, tu pourras rester dans ta petite catharsis, plutôt que d'aller chez le concurrent de ton patron qui d'ailleurs serait ravi d'avoir une bonne poire comme toi comme employé.

Yeka & Lio