Avery se plaît à penser de lui même qu'il est quelqu'un qui sait parfaitement maîtriser ses émotions. C'est partiellement vrai. Ses sentiments, il les garde parfaitement sous contrôle, jamais il ne part dans un excès de rage ou dans une crise de larmes, jamais il cède à ses envies et ses désirs. En toutes circonstances, il met un point d'honneur à être calme et impassible, à laisser la logique et la raison dicter ses armes. A ses yeux, les sentiments sont inutiles, ils ne créent que des ennuis et s'il le pouvait, il s'en débarrasserait volontiers. Malheureusement pour lui, c'est impossible mais bien qu'il ne puisse pas supprimer ses émotions, il peut les enfouir au plus profond de lui-même et ne jamais agir dessus.

Dans son travail de jour, il pense réussir à simuler un semblant de sentiments, des faux sourires qui ne sont pas les siens, des rires forcés quand ça lui semble approprié. Il est cependant loin de donner le change, tout le monde voit sans grand mal qu'il se force. Beaucoup le pensent en conséquence faux et hypocrite mais il n'en a que faire de la réputation qu'il peut avoir auprès des autres. L'estime de soi, c'est la réputation qu'on a auprès de soit même et c'est la seule qui compte. Qu'importe ce qu'on en pense, il continuera de garder sa fausse politesse car elle fait partie de son code de conduite, c'est une chose qu'il ne fait pas par plaisir mais par nécessité, tout simplement parce que pour vivre en société, c'est ce qu'il faut faire.

"Faire ce qu'il faut faire", c'est sa principale devise dans sa vie nocturne. Tout ordre qu'on lui donne, il l'exécute sans le discuter, sans le remettre en cause. Au plaisir de certains, au désarrois d'autres, Avery est une parfaite marionnette qui s'abaisse aux plus horribles besognes si on les lui demandent. Sa volonté et sa morale n'ont aucune importance, seule sa mission compte et pour elle, il est prêt à abandonner son individualité et mettre sa lame au service du peuple. Sa vision du monde est très manichéenne et ça le préoccupe bien peu, il juge que l'empathie et la compassion ne le mèneront nul part et même s'il ne le verbalise pas, il méprise ses collègues qui éprouvent de la sympathie envers les monstres. Qu'est-ce que ça peut bien lui faire, qu'ils aient des proches et une vie, qu'ils ne se contrôlent pas tous, qu'ils cherchent à se nourrir? Qu'ils aient des circonstances atténuantes ou pas, Avery les éliminera tous car c'est ce qu'il faut faire.

Parmi les protecteurs, il est connu pour être aussi froid que le souffle qu'il utilise. Jamais il ne fête une victoire, jamais il ne s'attriste sur une défaite. Il vient, il fait ce qu'il a à faire et il repart. Certains apprécient sa grande efficacité et sa capacité à se concentrer sur l'essentiel mais d'autres collègues ne le supportent pas et détestent travailler avec lui. Avery suit les ordres, mais uniquement de ceux situés au-dessus de lui, ce qui peut le rendre particulièrement peu coopératif. Il n'est pas du genre à prendre la moindre initiative, il s'en tient aux ordres, il s'en tient au plan, si quelque chose ne fait pas partie de sa mission, alors il ne le fait pas. C'est peut-être pour cette raison qu'il n'a pas augmenté de rang depuis des années, car il suit bêtement ce qu'on lui dit de faire sans réfléchir par lui-même.

Ce qu'Avery fait, il ne le fait jamais par envie ou par conviction, il le fait parce que c'est ce qu'il faut faire. Chaque action est précise, rapide, efficace, sans jamais s'attarder sur le superflu. Toutes ses activités, toutes ses pensées, toutes ses nuits, il les consacre à un seul idéal transmis dans sa famille depuis des générations: vivre dans un monde sans monstres.

Le plateau délicatement posé sur la table, le serveur tendit aux derniers clients de la journée leur bubble tea. Son air fatigué laissait sous-entendre qu'il avait hâte de finir son service pour rentrer chez lui, terminer sa petite routine boulot, métro, dodo, mais ce n'était pas le cas. Les clients partirent, la vaisselle fut lavée, le ménage effectué, les lumières éteintes. Fermant la grille derrière lui, il ajusta son duffle bag sur son épaule et posa sur sa tête une coiffe militaire caractéristique de l'ère Meiji. Il se mit en marche, mais les rues qu'il empruntait ne menaient pas jusqu'à chez lui. Il arpentait les quartiers de Los Angeles tandis que les lampadaires s'allumaient pour chasser l'obscurité de la nuit tombante. Il rôdait sans destination en tête, comme s'il cherchait quelque chose dont il ignorait la localisation. Au bout d'une heure de pérégrination, un bruit retentit dans une ruelle et il s'y engouffra à sa suite. Caché dans la pénombre se trouvait une créature difforme, effrayante, monstrueuse. Il avait trouvé ce qu'il cherchait. Ouvrant son sac, il en sortit un katana qu'il dégaina précipitamment. Pour Avery, la nuit ne faisait que commencer.

Comment est ce qu'il en était arrivé là? Généralement on ne choisit pas le "travail" de protecteur, c'est lui qui nous choisit. Il ne faisait pas exception à la règle, cette voie lui avait été imposée sans qu'il n'ait son mot à dire. Dans le ventre de sa mère déjà on décida pour lui qu'il serait protecteur comme son père avant lui et comme des générations de Tsukiyama avant lui. C'était un destin auquel il ne pouvait pas échapper.

Ses parents s'étaient rencontrés durant une ronde nocturne, dans leur Japon natal. Après des années passées à chasser les monstres, une mission leur fut proposée. Los Angeles était devenue un véritable terrain de chasse et toute aide était la bienvenue pour régler la situation. La mission ne fût pas bien longue, à la fin de l'année une trêve avait été signée entre les deux camps et ils étaient libres de rentrer chez eux. Cependant, le couple n'était jamais reparti, la Californie leur plaisait et ils décidèrent de s'y installer. Trois ans plus tard, la famille s'agrandit et accueillit leur fils, Shintaro. Toutefois, comme beaucoup d'immigrés avant eux, ils prirent la décision de lui donner un premier prénom à consonance anglaise, pour l'aider à mieux s'intégrer dans la société américaine. Avery faisait ainsi ses débuts dans la vie et son enfance s'annonçait comme étant tout sauf normale.

Aussi loin qu'il se souvienne, il avait toujours eu conscience de l'existence des monstres. Vu sa famille, il n'aurait pas été étonné que ses histoires pour dormir étaient constituées d'exploits de protecteurs plutôt que de contes de fée. Un jour, lui aussi allait passer ses nuits à chasser les monstres, ce n'était ni une proposition, ni une requête, c'était un fait qu'il n'avait même pas tenté de négocier. Sa scolarité avait été remplie d'activités extrascolaires, au point d'avoir un emploi du temps millimétré cliché du parfait petit enfant asiatique. Aucune de ces activités n'avait été choisie au hasard. Kendo, art martiaux en tout genre, gymnastique, athlétisme, rien de tout cela n'avait pour but de le divertir. Ses parents avaient pour objectif d'entraîner son corps pour qu'il soit un jour prêt à devenir un protecteur, lui faisant ainsi développer vitesse, endurance, agilité, souplesse et force.

Dès qu'il fut en âge de tenir un sabre, son père commença à l'entraîner personnellement. C'est à ses côtés qu'Avery appris le souffle de la glace et les 10 mouvements qui le composait, transmis dans la famille Tsukiyama depuis des siècles. L'entraînement était long et rigoureux et laissait peu de place pour le moindre loisir. Dans cette maison, on élevait une arme plus qu'un enfant. Le jour où on décida que son maniement du katana était correct, on lui fit forger son arme sacrée dont la lame se teinta d'un bleu clair dès qu'il la sortit de son fourreau. Il n'avait que 14 ans, et déjà on l'emmenait sur le terrain. Affronter un monstre, ça n'avait rien à voir avec un combat de kendo ou un entraînement avec son père. C'était terrifiant, chaque erreur pouvait lui coûter la vie ou celle de ses parents qui se tenaient à ses côtés et l'angoisse lui serrait la gorge à chaque mouvement de l'adversaire. La seule chose qui le rassurait au milieu du chaos des batailles, c'était les ordres qu'on lui dictait, s'il les suivait à la lettre, alors il savait qu'il pouvait s'en tirer. Il s'en sortait en effet toujours vivant mais pas toujours indemne. De nombreuses fois il avait dû louper les cours suite à un séjour à l'hôpital pour recoudre une plaie ou plâtrer une fracture.

La fréquence à laquelle il accompagnait ses parents dans leurs missions nocturnes augmentait au fur et à mesure qu'il vieillissait, au point qu'une fois sa majorité atteinte, il se retrouvait à faire des rondes tous les soirs, parfois même seul. A la fin du lycée, il s'orienta vers une école de commerce. Personne ne s'y opposa, ce qu'Avery faisait le jour importait peu tant qu'il était en forme la nuit. Cette voie ne lui plaisait pas spécialement mais elle lui semblait être une bonne idée, s'il gérait sa propre affaire alors il pouvait être flexible sur ses horaires et jongler plus facilement avec ses deux vies. À sa rentrée universitaire, une soirée d'intégration fût organisée. Il n'avait pas prévu d'y aller, il avait jusqu'à présent mené une existence solitaire qui lui allait très bien. Son emploi du temps n'avait jamais vraiment laissé de place pour des amis, ce n'était pas maintenant qu'il allait s'en faire. Pendant que tout le monde allait faire la fête, il allait traquer des monstres, la vie qu'il menait était fondamentalement différente de celle que vivaient les jeunes de son âge, c'était impossible qu'ils puissent se comprendre.

Le jour de la soirée d'intégration était arrivé et le protecteur rangeait ses affaires à la fin de son dernier cours, prêt à rentrer chez lui et échanger ses manuels scolaires contre son katana. Un groupe d'élèves s'approcha de lui avant qu'il n'atteigne la sortie, lui disant qu'ils espéraient le voir à la soirée. Il répondit qu'il n'avait pas l'intention de s'y rendre, provoquant l'indignation de ses camarades qui insistèrent pour vérifier qu'il était sûr de ne pas avoir envie de venir. Avoir envie… C'était une question qu'il ne se posait jamais. Il faisait les choses parce qu'il fallait les faire, pas par envie. Est ce qu'il avait envie de participer à cette soirée? Peut-être. Il n'avait même pas réfléchi à la possibilité d'y aller. Faire la fête, rencontrer des gens de son âge, s'amuser, est ce qu'il en avait envie? Oui. Non! Il ne devrait même pas avoir ce genre d'idées en tête. Ses envies n'avaient aucune importance, tout ce qui comptait, c'était de faire ce qu'il fallait faire, c'est ce qu'on lui avait toujours appris. Mais si.. juste une fois… rien qu'une fois… il pouvait écouter ses envies? Il accepta d'aller à cette fête.

Quand il poussa la porte de la demeure familiale, personne n'était encore rentré malgré l'heure avancée de la nuit. Ses parents avaient dû prendre en chasse un monstre puissant mais ce n'était pas le moment de s'en préoccuper, ils devaient très bien se débrouiller sans lui et de toute façon, vu sa démarche titubante et le taux d'alcool qu'il avait dans le sang, il ne serait pas d'une grande aide. Tout ce dont il avait envie, c'était de s'écrouler dans son lit. Il fut incapable de dire combien de temps il avait dormi quand la sonnerie de son téléphone l'extirpa de son sommeil. Mal réveillé, la tête douloureuse, il décrocha avec difficulté. La voix au bout du fil sembla effacer en un instant sa gueule de bois. Il sauta hors de son lit, portant encore ses vêtements de la veille et quitta précipitamment la maison. Le jour ne s'était pas encore totalement levé, les transports en commun ne circulaient pas encore et il enfourche son vélo pour ne pas perdre de temps. Pendant tout le trajet, des pensées se bousculaient dans sa tête sans pour autant former la moindre cohérence. Il refusait d'y croire avant qu'on le mette devant le fait accompli. Arrivé à l'hôpital, monde d'Avery s'écroula officiellement. Sa mère était morte. Son père avait perdu un bras. Ils étaient tombés sur un monstre de rang supérieur et il n'avait pas fait le poids. Dans la chambre de son père, il eut l'impression de suffoquer tant l'air ambiant était chargé de désespoir, de colère et de rancoeur.

"Où est ce que tu étais hier soir?! Ta mère et moi on avait besoin de toi! Pourquoi tu nous a laissé tomber?!"

La vie lui avait appris une leçon de la plus dure des manières qui soit. Ne jamais écouter ses envies, toujours enfouir ses sentiments et en toute circonstances, faire ce qu'il faut faire. À partir de ce jour, il se promit de dédier sa vie à la traque des monstres sans jamais se laisser distraire par le moindre désir.

Pseudo : Red
ge : 22 ans
Pronoms : N’importe
Commentaire :Vous êtes tout beaux, le forum fait grave envie!