Calculatrice — paranoïaque à l'extrême — voir couarde — c'est la peur qui la motive bien plus que l'ambition — peur de l'échec — peur d'être asservie — peur d'être dévorée — peur de tout — et surtout des autres — mais elle est bonne actrice — elle ne montre rien — rien qu'un sourire — faussement aimable — faussement extravertie — on ne fait pourtant pas plus misanthrope qu'elle — le contact d'autrui la dégoûte — peu nombreux sont ceux qui connaissent l'animal craintif et sournois qui rampe — derrière son petit minois — elle semble chaleureuse — mais garde ses affections et sa tendresse — tout près de son coeur — comme un trésor jalousement protégé — elle n'a ceci dit point de scrupules à se servir des autres — perceptive — rusée — patiente — elle sait mettre le doigt là où ça fait mal — planter avant d'être plantée — eux contre elle — telle est la loi du monstre.

Capricorne, lune en capricorne, ascendant gémeaux — très à cheval sur ses routines — et les horaires — révulsée par les gens en retard — et ceux qui s'arrêtent en bas des escaliers  — et ceux qui mangent bruyamment — et puis tout le monde en fait — joue du piano et parfois de l'orgue à la messe du dimanche — bien qu'elle ne soit pas croyante — polyglotte, elle maîtrise l'anglais, le français, le grec ancien, le latin, le mandarin et le russe — mémoire titanesque — adore parler en citations — préfère de loin dévorer des livres plutôt que des humains — pourrait monologuer pendant des heures sur tel ou tel auteur — légèrement maniaque de la propreté — déteste qu'on la touche — apprécie le silence — mais pas les animaux — ni les fleurs — ni les parfums forts — ni les épices — ni les romcoms — ni les blagues — jeune monstre avec une âme de mamie aigrie.

1981 - 1992.
Il est peu commun chez les monstres de grandir en famille et de famille, Delilah se souvient toujours en avoir eu une. Peut-être lui reste-t-il de vagues souvenirs de ses parents biologiques : le parfum de l'eau de cologne de son père, le rire tendre de sa mère, les crissements des pneus sur le goudron, le bruit des vitres qui explosent et l'odeur du sang chaud mêlé à celle de la fumée des moteurs. Mais elle ne prête que peu d'attention à ces bribes d'autrefois. Elle a la certitude qu'ils sont morts et la certitude que ses vrais parents sont ceux qui l'ont élevée.
Le manoir des Lewis est une bien belle bâtisse. Toujours pleine de vie, effervescente de bruit, de rires, de cris. Elle a le souvenir de beaucoup de frères et de soeurs, de tantes et d'oncles, de cousins et de cousines. Tous ne survivent pas à la transformation, certains viennent, certains partent. C'est une drôle de famille que la famille des Lewis, une vieille famille monstrueuse, une des premières établie sur le sol américain qu'on lui répète souvent. C'est une chance d'être une Lewis. Personne ne s'attendait à ce qu'une gringalette comme elle ne devienne un monstre. Et pourtant la gamine s'est transformée.
Elle se rappelle du regard de celui qu'elle a toujours appelé Père parce que c'est l'une des seules fois où il l'a jamais regardée. Peut-être qu'on en ferait enfin quelque chose de la petite Delilah.

1993 - 2002.
Mais Delilah ne grandit pas. Elle reste petite fille pendant très longtemps comme si elle refusait consciemment de grandir. La poupée du manoir, le souffre-douleur préféré des plus jeunes comme des plus âgés. Elle n'a pourtant pas l'attitude qu'on attendrait d'une adorable gamine : Delilah est une enfant timide, trop réservée à la curiosité étouffée par sa couardise. Elle passe son temps à lire, enfermée dans sa chambre ou cachée dans la bibliothèque. Quand vient l'heure du souper, Delilah ne mange qu'à toutes petites bouchées. Elle ne chasse presque jamais, seulement quand la faim se fait urgente, préférant de loin consommer de la viande synthétique en secret, par peur qu'on la houspille, peur d'encore plus décevoir son Père. Traquer, tuer, dévorer est une perte de temps pour elle, monstre fragile, toujours à la traîne, qui craint plus les protecteurs plutôt qu'elle inspire la peur. C'est un comble pour un prédateur d'être aussi médiocre sur tout ce qui touche du domaine de la violence et de la brutalité.
Il est peu commun chez les monstres de grandir en famille et encore plus de grandir aussi faible.

Mais c'est la bête qu'on accule qui est la plus dangereuse.

2003 - 2018.
Mais lorsque même les cadets deviennent plus puissants, lorsque la patience des ainés s'use, il est temps pour Delilah de faire ses preuves, de faire la fierté de sa famille. Et si Delilah est fière - tellement qu'elle ne cherche pas l'approbation des autres, Delilah traine encore la patte. Elle fait de longues études, de très longues études à Harvard, à Oxford, à Sciences Po, changeant de noms comme de cursus comme pour retarder l'échéance, le jour où il faudra rentrer chez elle. Elle décroche pourtant à chaque fois les compliments du jury. Elle travaille d'arrache-pieds pour chacun de ses diplômes.
Après les sciences économiques, le droit des institutions et les relations internationales elle se fixe sur le journalisme et les sciences politiques quand elle aurait voulu en réalité étudier littérature et histoire de l'art. Faisant cette fois-ci juste ce qu'il faut pour se faufiler dans les fratries étudiantes puis les cercles d'influence de la côte Ouest, elle n'a aucune peine à trouver un poste au sein du grand parti. De l'unique parti. Le parti républicain. Celui du pouvoir, absolu et sans scrupules.

2019 - 2022.
Évidemment que les monstres n'ont que faire des querelles des mortels. Quel drôle de choix pour une créature comme elle que de devenir politicienne. C'est pourtant la voix la plus sûre, la plus pratique pour enfin grimper les marches de la chaîne alimentaire. Car les mots et les lois parlent parfois plus forts que les crocs et les lames, ça Delilah le sait. Et puis pourquoi pas ? Pourquoi elle ne prendrait pas l'ascendant sur les autres engeances de la façon la plus civilisée et la plus perfide qu'il soit ? En les gouvernant par la non violence, la force à l'état pur : celle du charisme, celle du prestige. C'est un trône que personne n'occupe à la cour des sauvages et que Delilah serait ravie de s'emparer.

Populaire auprès des électeurs conservateurs depuis quelques années, Delilah est aujourd'hui une des figures de proue qui fait opposition à Olivia Parker. Tout le monde aime voir deux femmes se battre. Et puis elle a trouvé l'audimat parfait pour ses discours : elle parle aux américains qui ont peur des étrangers, des pauvres, des non-blancs, des non-hétéros. Elle parle à un public sauvage, un public qui veut de la violence, de la division. Tout est facile pour elle, elle qui a toujours vécu en chiot galeux au milieu de la meute de loups, qui connait la peur, qui connait la haine.

Si Delilah n'a pu se présenter aux dernières élections municipales de Los Angeles, elle gagne son siège au sein de l'assemblée de Californie avec une majorité écrasante sur ses concurrents. Elle espère bien qu'à force de nourrir son armée d'électeurs de promesses auxquelles elle ne croit elle-même pas gagnera suffisamment d'importance pour faire trembler Olivia et surtout représenter dans les ombres sa race.

Un candidat du côté des monstres, n'est-ce pas suffisamment original pour s'attirer les grâces de la Reine et par ricochet le respect de ses compères ? Oh c'est tout ce que Delilah demande (exige).
Qu'on la respecte enfin.

Pseudo : Mâo.
Âge : Je suis pas venue pour souffrir ok (vieille, +25 ans).
Pronoms : Elle.
Comment tu nous a connu : Une mouette et un panda m'ont alpaguée avec des croquettes.
Commentaire : Je ne suis que trois ratons sous un imperméable et une carte de l'association des fans de milfs