Peek-a-boo

Even a shit can't be that scary

Autant vous dire que quand vous êtes créateur de contenu à quatre vingt pourcent nocturne, le couvre feu n'aide pas. C'est même un sacré lego enfoncé dans la plante de votre pied. Un casse tête qui vous oblige à enfreindre la loi. Une loi qui je le rappelle, sous couvert de sécurité, porte une atteinte conséquente à la liberté d'autrui. Car ce couvre feu, tout le monde sait pourquoi il a été mis en place (les meurtres), mais personne ne sait qui en est à l'origine (les meurtriers). Donc, on se retrouve dans une situation où tout un chacun se doit de se barricader sans poser de questions, ni même vivre après une certaine heure. Cet état de fait nous a donc amenées à outrepasser la dite loi, pour continuer à faire ce que l'on sait faire de mieux :  chercher l'inconnu. L'inconnu qui fait peur, l'inconnu qui fait que, des gens sont bien contents de nous suivre plutôt que de devoir risquer ce qu'ils considèrent comme de jolies fesses, dehors.

C'est donc avec notre matériel sur le dos (même si c'est Mags qui s'en occupe, parce qu'avec mon boulot de technicienne à côté je crois que je serai déjà en train de former de l'écume sur le trottoir et rendre de facto l'âme), que nous nous retrouvons à camper de manière bien plus classe que les gens sur CS:GO. Le temps passe, le jour peu à peu s'éteint comme s'éteindrait une lampe à lumière tamisée. Notre repérage de ces derniers jours nous a permis d'établir un moyen d'entrer sans que nous nous fassions griller par les deux pauvres pécores servant de gardiens; ce qui est assez risible, quand on sait que ce bâtiment est abandonné. Mais paraît-il qu'une super corporation en manque de zone avantageuse dans son expansion de territoire digne d'un gang mafieux, avait jeté son dévolu sur ce temple de l'horreur et du mystère. D'où le pourquoi de cette présence gênante, ne servant qu'à surveiller en surface un bâtiment qui ne devrait pas être visité.

— Attends.

Je suis passée depuis quelques minutes de l'autre côté, en ayant bien pris soin de récupérer le matériel. Mais c'était au tour de Mags de franchir la limite entre le légal et l'illégal. Et elle a, malheureusement, quelques difficultés à franchir le pas. Je tends alors mes bras, qui ne servent dans leur substance qu'à lui offrir le maintien nécessaire durant sa montée; vu que je ne suis pas non plus une championne du soulevé de poids. Malgré ce léger handicap, nous sommes enfin à l'intérieur de notre sujet de nuit : le Downey Asylum. Je regarde les environs, détachée, et pas vraiment impressionnée par l'immense couloir vide se dressant devant nous, dans lequel s'engouffre par moments des vagues de vent frais.

— Ouais, on sait à quoi ressemble le bâtiment de l'extérieur, mais on devrait faire un tour d'horizon pour trouver les bons spots, et surtout trouver les chambres mentionnées pour nos deux cas.

Aka deux des patients qui ont fait en soi, la gloire de cet établissement pour leurs méfaits et leurs morts assez space. Je sens que l'air entrant dans mes poumons est humide, poussiéreux. Je passe alors de suite à Mags son masque à filtre, avant d'enfiler le mien. C'est de l'amiante, et respirer ça, c'est signer une bonne case de mort par cancer si vous ne prenez pas un minimum de précautions. Nos voix seront un pe étouffées, mais avec le micro que j'ai pris, on devrait pouvoir cacher la misère. La santé avant tout.

— Il paraît qu'ils ont laissés un paquet de déchets chimiques. Je me demande comment ça n'a pas encore pris feu. Du coup, fais gaffe à où tu marches.

Sur les murs, des tags. Au sol, des débris de mur, plafond, mais aussi des déchets humains plus contemporains, laissés par des gens venus vivre leur petit instant frisson. Je ne me gêne pas pour donner un violent coup de pied dans une bouteille de bière, qui part alors se briser à l'impact sur un des murs.

— Hrmpf.

Je grogne mon mécontentement. Les gens sont vraiment dégueulasses. Ok, tu es dans un lieu abandonné, dans lequel tu es venu te bourrer histoire de te donner le courage nécessaire pour sentir tes gonades. Mais laisser ta merde comme ça ? ça prouve juste que tu es un déchet bon pour être recyclé avec le peu que t'as de viable. Je prends ensuite ma lampe et je commence à avancer, pendant que de mon autre main je me repère sur le plan qu'on a pu chiner (en vrai, j'ai volé une copie à l'hôpital du coin).

— Il faut qu'on trouve un toit en verre dans cette aile. Ce serait le hall qui nous permettrait de rejoindre l'auditorium, puis la première batterie de chambres. C'est là qu'on aura un premier spot potable. Bien sûr, on va éviter de se séparer. On oublie pas la règle principale de survie en film d'horreur.

Car ce lieu est supposé être hanté. On raconte même qu'une présence circule depuis peu dans ces lieux et qu'on entendrait des bruits de craquements d'os humains. Certes, on était principalement là pour taper sur l'historique du lieu, sauf que ... quand on a appris cette rumeur, autant vous dire que d'un simple regard, comme à chaque fois, on savait pertinemment où ça nous mènerait : traquer ce potentiel fantôme. Ou même, trouver un indice qui nous permettrait d'établir un lien entre toutes les morts récentes, et l'identité des assassins.

Yeka & Mags

Peek-a-boo

Even a shit can't be that scary

J'entends le métal vibrer, cliqueter, quelques roulis lointains se lier à ceux se jouant sous mes chaussures. La fraîcheur qui se dégage autant du vent que de l'air chaud devenant buée à chacune de mes expirations me donnerait presque l'impression qu'elle est en soi, une entité; oppressante qui n'a de cesse de nous fixer. Bien trop de fois, j'ai l'impression que quelque chose va fondre sur nous, alors qu'il ne s'agit en réalité que de forts bruissements. Sans doute est-ce aussi le poids de l'histoire du lieu qui nous perturbe; ainsi que la rumeur. J'ai beau être rodée depuis le temps, et Mags aussi, mais chaque nouveau lieu visité a le don de me foutre la chair de poule. L'attrait de l'inconnu a cet apanage qui jamais ne prendra de rides, dans nos mornes et si éphémères existences.

— C'est vrai. J'espère simplement qu'on ne va pas rencontrer au détour d'une chambre une Lucy qui nous attend ciseaux en main.

Je maugrée malgré moi, en me rappelant l'origine de cette peur. Les jeux Clock Tower, ou Opera de Dario Argento. Mags sait depuis qu'il s'agit de mon plus grand malaise, dans les films comme dans la vraie vie. J'ai beau être de glace, ou même rire face aux morts absurdes de pas mal de personnages, celles-ci me mettent un mauvais goût en bouche. Mags sort son téléphone pendant que je rumine et jette un coup d'oeil au plan pour me distraire de mes pensées. Sur la photo, autant dire que je lance un regard plus noir que d'habitude. J'imagine déjà les commentaires de certains trolls me disant que j'ai un balais dans le cul, ou qui feront un énième meme en référence à Mercredi Addams. Vous savez que j'ai même trouvé un deepfake de nous deux sur un sujet obscur de Reddit ? avec des hashtags peu conventionnels et un bon gros "lesbian". Des trucs que je me suis gardée de partager avec Mags, et que je me suis empressée de yeet, selon les règles de l'art. Juste avant que le clic ne se fasse entendre, je lève mon majeur pour ponctuer mon regard. Je reprends ensuite mon expression habituelle, alors qu'on avance, nous rapprochant toujours plus de notre premier point de chute. Une fois arrivées devant ces chambres aux portes éventrées, au bois pourri ou inexistantes, je croise les bras en observant un coup la zone.

— Du coup, je te propose un petit setup. Si on trouve une chambre encore en bon état, on a qu'à se mettre sur le lit et commencera la vidéo de là. Mais avant, on doit poser nos trois dictaphones à certains endroits stratégiques.

Je plisse les yeux, et je m'empare d'un des instruments électroniques non sans le fixer, comme perturbée par une sensation qui ne cesse de me toucher le dos, ou de rendre mon souffle plus lourd. Et non, ce n'est pas la faute du masque à filtres. Je jette un coup d'oeil vers ma comparse, non sans me montrer interdite et bien moins encline à parler à haute voix.

— J'ai l'impression de sentir une présence. Tu sais, comme quand on a rencontré Lee Chonk la première fois. On ne le voyait pas mais ...

Je fronce les sourcils. Je me sens idiote, et frustrée. Impossible. Il n'y a personne dans ce putain d'asile, je suis en train de me monter un trip. Le manque de sommeil, sûrement. Après tout, notre détecteur laisse osciller quelques petites ondes, sans que rien ne le perturbe, depuis l'ouverture du portable de Mags.

— Non, ça doit juste être le vent constant qui me donne froid. Rajoute en plus mes aller retour dans la chambre froide du labo, et me voilà en prise avec un micro rhume constant.

Je pose alors le premier dictaphone dans le couloir de l'allée des chambres, non sans pester contre mon patron et cette fichue chambre froide. Mes yeux viennent ensuite rencontrer ceux de Mags, qui reste toujours aussi excitée, et ce malgré ma précédente remarque. Ça l'a même encore plus mise en joie. Je me redresse, et je viens poke sa joue droite de mon index. Comme pour dégonfler un peu cette bulle d'enthousiasme qui menace d'éclater.

— Tu sais qu'au delà de l'aspect psychiatrique, ils gardaient des gens atteints de la polio ou de la tuberculose ? Des gens normaux, au milieu de tarés. Et qu'on entendrait le prêtre qui s'est fait couper la gorge par un patient faire une Ju-on. On a aussi les anciens champs de culture à visiter, et la zone qui servait aux tests militaires. On trouvera aussi le frigo dans lequel ils ont retrouvé des cadavres momifiés, qui sait. En espérant qu'un tocard égoïste ne l'a pas embarqué pour le mettre dans sa collection.

Yeka & Mags