J'dois avouer qu'aujourd'hui, c'est pas la joie. Je me réveille avec la gueule de merde de la veille, et quand je me regarde dans le miroir pour voir ce qui traîne sur mon minois, j'vois que j'suis bien passée à la casserole. Putain j'porte même encore mes gants, j'devais être vraiment éclatée ... comme ma lèvre là, que je pince. Courbaturée, un oeil au beurre noir, une lèvre fendue, mais toujours vivante, toujours debout. Putain de combat de sa mère avec cette merde de monstre. Je jure, on croirait que je me suis tabassée avec les gadjos du coin et heureusement que ça va pas plus loin parce que j'aurai pas su comment expliquer le reste si ça avait été pire. Genre comment j'explique à des petits gosses que je me suis marave avec autre chose que des mecs moi. Déjà qu'ils sont pas très stables émotionnellement avec leur situation de merde. Alors si en plus on apprend que les serial killer du soir sont des monstres, et qu'en plus j'suis de celles qui les fracassent, on est pas rendus pour que ça mette encore plus la merde. J'pince encore un coup ma lèvre en grimaçant, pour voir si du sang ne sort plus. Puis je vais à la douche en grognant de douleur, avant de remarquer que j'avais un chewing gum tout dégueulasse de collé sur mon pantalon. Sûrement un reste d'hier soir qui fout une de mes braies en l'air. Fais chier.

Bref. Petite transition rideau de douche, je suis arrivée au centre. Comme d'habitude, tout le monde se bouge, braille, raconte ou fait sa vie dans les couloirs ou le grand hall qui sert de couche temporaire pour pas mal de gens. Je salue du monde, je leur demande comment ça va, ce qu'ils ont fait depuis ma dernière visite il y a trois jours. Je regarde un peu comme une débile (parce que je sais pas y jouer), Vinny et Kiwi jouer aux échecs et m'expliquer pourquoi ils sont bloqués à là dans la situation actuelle, pour ensuite me faire choper par Shanna qui me tire sur le pantalon pour que je la suive devant son projet de maquette pour le concours de sciences de collège. Puis c'est Ramos et sa bande qui me disent au moment où je montre à Shanna le problème sur sa maquette, qu'il y a la vieille Carlota qui a glissé de son lit et qui arrive pas à se relever. Du coup, je décale pour aider Carlota à se relever, qui malheureusement s'est foulée la cheville et que je me retrouve à soulever comme une princesse pour l'amener jusqu'à l'infirmerie. Sauf qu'on m'arrête en chemin pour me signifier qu'il va y avoir un clampin dont j'ai pas compris le nom qui doit arriver aujourd'hui sur la demande de Wong, le second de notre gérante. Welsh ? Wash ? J'grimace de diverses façons sans comprendre en quoi ça me concerne ce projet dont on m'a foutrement pas parlé. Puis on me rappelle que ça avait été évoqué à la dernière réunion d'il y a une semaine ... ah ouais. Ouais, ça y est je m'en souviens un peu. Toujours avec Carlota dans les bras, j'regarde celui qui m'a interpelé comme si j'en avais quelque chose à foutre sur le moment.

— Ouais, ouais. Bah vous savez quoi ? Dites à Welsh de venir dans le hall hein. Comme ça il se met au milieu de tout le monde, et tout le monde pourra profiter de son cours ? C'est pas Welsh ? Ah Woush ? Vache ? Qué mierda de nombre es ese.* Oui bah j'arrive comme j'peux pour accueillir votre Wesh, je sais pas si vous avez remarqué, mais j'ai une princesse à sauver.

Carlota se met à roucouler de son petit rire en me demandant quel lion j'ai bien pu bouffer ce matin. Je lui dis qu'un bon chevalier se doit d'être implacable pour protéger la raison de son existence puis on repart comme si de rien n'était en tapant la discute sur feu son mari et son chat Homère. Quand j'suis enfin dispo, je me rends de nouveau au hall pour bien voir ce qu'on me veut et pourquoi que c'est moi qu'on a assigné à accueillir Woush. C'pas Bonnie qui s'occupe de ça habituellement ? J'me gratte l'arrière de la nuque et j'traine des pieds en braillant ma contrition, puisque je dois me coltiner ça au final. Du coup j'vois un mec brun qui a l'air aussi ravi que moi d'être là. Cool ça commence bien. J'mavance en tapant mes godillots militaires sur le sol et j'me plante face à lui. Ptain c'est quoi cette tige. C'est un archet géant ?

— B'jour, j'suppose que vu votre matos c'est vous Wouai... 'fin le gars qui vient donner un cours de musique. C'Wong qui vous a contacté parce qu'il a un pote d'un pote qui vous connait et qu'a dit que ça vous brancherait de venir ici, hein. Cool.

Une main dans une poche de mon pantalon, et l'autre qui gratte sous mon menton pendant que je me tape une autre grimace en serrant mes dents de gêne et d'envie de pas être là, j'réfléchis à haute voix.

— Alors j'sais pas si on vous a tenu au jus, mais y'a pas de salle ici. C'pas un conservatoire pour riches, ici, v'voyez. Du coup, on peut juste vous proposer de faire ça avec les gosses dans le hall. Z'avez besoin d'aide pour déplacer le matos ?


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Alors je sais pas si sa remarque sur ma délicatesse est un moyen détourné de me dire que je donne pas l'air de faire de la broderie ou du tricot avec tout le détail des petites pâquerettes qui donnent le côté féminin fragile qu'on donne au genre féminin. Et si c'est le cas, j'en ai rien à battre quand je le regarde. Je suis même en train d'en rajouter une couche quand il me dit ça. Je suis pas musicienne, j'ai aucun recul sur la fragilité de ces caisses creuses qui arrivent à pourtant faire du bon son. Moi, c'est retaper la mécanique d'une Gilera Saturno 500 qui va me donner une envie de finesse et de précision. Alors j'y vais pas par quatre chemins quand je vois son pote déposer avec "délicatesse" ses timbales et grosses caisses. J'dis ce que je pense, histoire qu'il voit que son passif agressif, son cynisme, je le passe comme quand je dois enjamber le vomi d'un bébé.

— Vrai que si je devais soulever un instrument, j'aurai moins de chances de briser un truc en vous soulevant. Vu que d'une certaine façon, zêtes un instrument aussi, selon les merdes philosophiques qu'on pond pour se donner un genre intelligent.

Je souris en coin, assez fière de moi, et un peu con. Mais j'aime bien être con quand on me prend pour une conne. Les deux mains cette fois dans les poches.

— Après ça dépend de comment vous aimez qu'on vous instrumentalise. Il y en a qui aime le mode princesse. Y'a aussi le sac à patate. Ou le sac à dos. Le gilet pare balles.

J'hausse les épaules et je tords mes lippes. Son pote a l'air de me prendre pour une grosse conne parce que vu comment il me fusille du regard, on dirait que j'ai insulté sa daronne et ses ancêtres. Mais je fais mine de regarder le ciel, avant que la remarque du brun me tombe sur le front comme la pomme de Newton. Ah ouais, faut que je lui fasse visiter F.E.A.S.T du coup. Putaaaain, mais j'ai pas le profil de la déléguée de classe qui fait le tour du proprio au petit nouveau moi. J'pensais juste le poser dans le hall, puis basta. J'grimace de plusieurs façons, passant de l'étonnement, à la contrition. Puis au pesé du pour au contre, pour ensuite pencher la tête et prendre une expression qui dit que de toutes, ça me permettra de voir que rien de louche se passe avec les enfants. J'suis pas dans le cliché, mais les gens avec des penchants pédos ils ont des gueules de monsieur tout le monde.

— Alors je préviens. Je suis pas assistante sociale. J'donne les noms, vous gérez le reste.

Puis je lui fais signe de suivre à l'intérieur. Ma démarche est lourde, et j'en profite vu le rythme de bas pour m'étirer un peu les bras, ou rouler mes épaules, parce que bordel de merde, je me sens encore empâtée de ma soirée. J'aurai dû boire plus ptet. De l'eau, je précise. Je ferai ptet un crochet aux toilettes ? J'pourrai voir comment ma lèvre a cicatrisé un peu, même si je sens qu'en grimaçant tout à l'heure j'ai pas arrangé la situation. On passe devant deux vieux, l'un clodo à l'air patibulaire, et l'autre plus proche du retraité esseulé quand même propre sur lui. Ils se marrent jusqu'à voir qu'on passe près d'eux, vu que leur banc favori se trouve juste à côté de l'entrée du hall. Je tends la main, et je passe de l'un à l'autre, pendant qu'ils mirent Washi washi.

— Jackson, Henry.

Aka les deux concierges. Henry relève ses lunettes sales sur son nez, pendant que Jackson dévisage l'arrivant comme si il étudiait ce qui serait sympa de lui voler dans ses poches. Puis Henry se lève et vient respectueusement (si on veut) serrer la main du gars.

— Oh, oh ! Vous êtes le musicien ? Bienvenue. Et merci pour votre temps. Vraiment, ça nous fait plaisir de voir des personnes comme vous redonner de la beauté ici, au F.E.A.S.T. Henry Malcolm Shabazz. Vous savez, dans ma jeunesse, j'ai beaucoup joué de la flûte traversière. Même si je n'étais pas assez bon pour entrer au conservatoire, je peux vous assurer que ça m'a permis de charmer ma Molly. Ah Molly ... je pense que vous l'aurez bien aimée, vous savez, parce que ...

Et Henry commence. En ne lâchant pas la main du mec. Mieux, il le retient, comme si il était en train de parler en personne à Obama ou Abraham Lincoln, ou le rappeur qu'aime bien son petit fils là, le texan, BigXthaPlug. J'vois que ça gonfle Jackson qu'il y ait un richou, mais surtout qu'Henry lui bloque la vue et son expertise. Mais au bout de deux minutes, je pose la main sur l'épaule d'Henry qui commençait à parler de la prêche de son révérend concernant l'importance de la beauté.

— Henry, j'sais que t'aurais beaucoup de trucs à dire au monsieur, mais s'tu veux tu vois avec lui pour parler après son cours ? Il y a les p'tits qu'attendent.

Henry tremble un peu des mains avant d'écarquiller ses yeux, puis hocher la tête en s'excusant. Je les salue et je tire le pauvcre bougre vers le hall histoire qu'il presse la marche, sinon on y est encore jusqu'à la semaine prochaine avec Henry. J'en profite aussi pour mirer Jackson, et lui faire signe que je le surveille. Pas touche, que je lui dis, avant de passer les portes battantes. On entre enfin dans le hall, où les lits de camp individuels servant pour beaucoup d'armoire de fortune se mêlent aux lits superposés, et aux breloques que certains calent ici et là. Il y aussi les longs porte manteaux de vêtements, les sacs de nourriture récupérés des poubelles ou destockages. Puis après quelques secondes où je dis au brun de faire gaffe où il met les pieds, je me fais agresser par une boule blonde qui me saute dessus en visant ma taille. Ouch, la vache. Mes bleus, merde.

— Merry, tu peux aussi dire bonjour.
— BONJOUR RAQUEL.

Mes oreilles. Je la soulève et je la mets plus dans mes bras pour qu'elle prenne de la hauteur. Et soudain Phyllis, Khalid et Chris arrivent pour aussi se coller à moi, vu que Merry a bien signifié que j'étais là. Et je dois maintenant marcher avec deux gosses dans les bras, et deux gosses qui se tiennent à mes jambes en gloussant comme des bienheureux. Il y en a d'autres qui arrivent en hurlant mon nom ou un bon vieux Daronne.

— C'EST LUI LE MONSIEUR QUI VA FAIRE DES CLAQUETTES ?
— C'est de la danse, Merry.
— MAIS LES CLAQUETTES ÇA FAIT AUSSI DES SONS DONC C'EST DE LA MUSIQUE. Fin c'est ce qu'à dit Willy.
— Oué bah Willy, c'est pas le monsieur qu'est là. Et c'est lui qui va t'expliquer.
— On pourra toucher les truments ?
— Faut demander au boss dla journée.
— IL S'APPELLE WELSH ! Je t'ai entendue tout à l'heure ! Bonjour monsieur Welsh moi c'est Merry !!!

Et depuis mes bras, Merry fait un grand coucou au brun. Et les autres disent bien évidemment, bonjours monsieur Welsh en coeur. Puta madre, je devrai pas rigoler de ma propre connerie, mais c'est quand même bien drôle.

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