Elle te poursuit.
Cette faim.
Depuis bientôt quatre ans, elle te poursuit. Au quotidien. Pour finalement s'épanouir au creux de ton ventre, titillant tes hormones pour combler le vide d’un plaisir malsain et cette joie répugnante.
Un plaisir monstrueux.

Et cette nuit encore, Fye, tu as cédé.
Faible que tu es.
Te voilà en chasse, porté par la folie, porté par la faim. Porté par le monstre qui sommeille en toi. Tu tiens de beaux discours, Fye. Chaque jour tapant du poing comme si chaque impact allait décapiter l’une de ces horribles créatures.. dont tu fais désormais partie.

Tu le sais.
T’évite juste d’y penser.
Par déni.
Par lâcheté.
Par honte.

Tu aurais mieux fait de terrasser la bête qui vit en toi dès l’instant où tu a su que ta vie de paladin s’était arrếtée.
Pourquoi ne t’as tu pas fait, Fye ?
Pourquoi le couperet s’est-il arrêté si prêt de ta jugulaire ?

Regarde où-tu te trouves désormais.
Regarde derrière toi, les traces de sang que tu sèmes dans la plus grande des impunités.
Et malgré tout, tu continues de sourire face aux autres. Famille, amis, être cher. Tu leur mens comme la plus belle des raclures. Comme le plus lâche des loups de Thiercelieux. Déboulant dans leur vie, trois ans après un deuil douloureux mais inutile, vide de sens.
Pas tant que ça au final, mais ce secret, tu le garde caché sous ton plaid confortable de honte et de misère.


La forêt est grande, sombre.
La fille est jolie mais court vite.
Tu entends ses pas précipités fouler les feuilles mortes. Son souffle saccadé et terrifié. Alors que tu la pourchasse, tapis dans l’ombre. Caché derrière un arbre. Tes longues griffes venant entourer et craquer le bois tendre du tronc.

Elle s’est arrếtée. Cherche une issue.
Te cherche comme pour s’assurer de t’avoir semer.
Derrière ton masque ta gueule se fend d’un sourire affamé. Tes pointes suintant d’une salive poisseuse. Et elle est si appétissante. Que ce serait un crime que de la laisser là, fraîche pour un autre monstre.

Alors tu fléchis les genoux, prêt à bondir. Prêt à la piéger au travers de tes griffes. Prêt à l’engloutir, à ne laisse plus aucune trace d’elle.

Et tu bondis, le regard perdu dans la folie de la faim. A cet instant il n’y a plus rien qui rentre en compte. A tel point que tu ne vois pas cette liane, cette racine,
cette putain de nature,
te faire trébucher,
violemment.

Et elle,
putain, elle s’échappe sous le bruit outrancier de ton cri
de colère.

 

Tu frappes le sol de tes mains recourbées.
Frappes, frappes.

Les griffes enfoncées dans la terre, tu la racles, tu la retournes. T’essaie de ramper, de t’extirper de cette merde qui te lascère la cheville. Tu veux te lever, te redresser mais c’est peine perdue.
L’immolée fuit au loin et toi,

Tu frappes et tu grondes.
La gueule grande ouverte pour laisser exploser ta colère et le chagrin d’avoir laisser filer une si charmante demoiselle. Les filets de bave, en toile reliée à tes dents, tu continues de hurler comme un affamé. Tes gestes sont comme désarticulés. Tu luttes pathétiquement, toujours absorbé par la fille.
La fille
La fille
La faim.

Tu projettes ton pouvoir dans sa direction. Comme un dernier espoir de la voir faire demi-tour, terrifiée par les visions imposées. Et alors elle viendrait se jeter dans tes bras, Mordred. O cher protecteur.
Oui hein, car dans ta tête, là-haut quelque part, tu es toujours Mordred. On t’as arraché les armes bien trop tôt.
T’as pas finis de sauver le monde.
Que tu crois.

Tu rugis une ultime fois, ne la voyant revenir. En revanche, tu l’entends.
Le crissement de ce sourire ponctué par un raillerie à peine soufflée.

Ta tête se retourne immédiatement dans sa direction. Et tu le discernes, là planqué derrière ses branches et ses feuilles. T’es toujours à terre, ligoté. Et le voir te regarder de haut t’irrite. Son intonation d’irrite. Sa voix t’irrite. Son odeur t’irrite. Toute sa personne, tu la dégueules.

▬ T’es con ou quoi ?! RATTRAPES LA !

Ta voix est rauque, déformée et grondante.
Si lui peut marcher sur ses deux jambes, qu’attend-il pour lui courir après ?
Hein pourquoi reste-t-il là à t’observer avec son air là. T’as qu’une envie, lui faire bouffer le terreau sur lequel il se pavane. Tes idées s’embrouillent et tu le soupçonnes d’avoir prévu son cou à l’avance. D’être lui en chasse et de, malheureusement, mieux connaître les sentiers que toi.

▬ TU VEUX LA GARDER POUR TOI TOUT SEUL. C' EST CA ?!

T’es complètement aveuglé par la faim.
Tes yeux se posent sur la lianes, bien trop ferme pour n’être qu’un enfant de Mère Nature. Tu crispes la mâchoire.

▬ C EST TOI.

Persuadé qu’il a triché.
Et qu’il va te la voler.

Dans la colère, tu te débats. Et tu sens tes entraves faiblir.
Tant pis pour la fille, si tu parviens à te libérer, c'est dans sa chaire que tu planteras tes griffes.
 

Tu lui faisais pitié mais lui te mettait en rage. Il était l'inconscient venu jeter de l’huile sur l’incendie qui ravageait tes veines, consumait ton âme. La faim était une compagne vorace et jalouse qui ne sera comblée qu’une fois la chair croquée et les os broyés. Le sang bu, et les muscles sectionnés.

Et il te mettait des bâtons dans les roues. Littéralement. Ecrasant ta face dans la terre, le bras tendu vers l’inconnue qui s’échappe, galopant vers la vie fuyant ta gueule pour très probablement rencontrer celle d’un autre. Tu te lamentes dans un dernier cri, l’accusant d’avoir tout manigancé. Après tout, même monstre, tu ignores qu’il en existe des plus humains que toi. Persuadé d’avoir à faire à la même race, la même raclure, la même pourriture que celle que tu es devenue. A flinguer la vie d’innocent pour dorloter la tienne.

Il s’approche, s’accroupit, te nargue.
Te fais croire qu’effectivement il est venu pour te la voler.
Alors tu te débats, faisant craquer les nœuds des lianes venues s’enrouler autour de ta cheville.

Un geste qui te vaudra d’être ligoté entièrement cette fois. Bras et jambes. Et tu sais que c’est lui. Qu’au lieu d’aller arroser ses brins d’herbes et cueillir ses navets, il est venu t’emmerder.

Sacrément t’emmerder.

et te menacer.

Si tu ne te calmes pas,
si tu ne te calmes pas, dit-il. A-t-il seulement conscience qu’en t’imposer ces entraves, te calmer est bien la dernière chose que tu puisses faire ? Au contraire, tu te mues dans une agressivité passive, sans résultats autre que celle qui te lacère la chair.

Tu t’en fous, la douleur n’existe pas. Il n’y que Mère,
Mère colère qui pulse dans ton corps.

Alors elles craquent, ses lianes. Avant de se renforcer.
Craquent, se renforcent.

Boucle sans fin et tu commences à t’impatienter.
Te voilà en train de rassembler tes esprits pour projeter vers lui ton pouvoir.
Bulle de cauchemar, brouillard d’images noires, tu fais tout pour le plonger dans les ténèbres et te faire apparaître à lui comme sa seule chance de survie.

Allez, allez viens petit montre,
viens,
il est ta seule issue, ta seule échappatoire.
Viens,
délaisse ta prise et
plonge dans les bras de Mordred.

 

Et le voile s'épaissit devant ses yeux. Plongé dans une parenthèse insufflée de ton pouvoir démonique, l'incitant à te donner sa confiance comme on s'offrirait au bon dieu sans confession.
C'est la pénombre qui l'enserre. L'obscurité qui vient grignoter les remparts de sa conscience avant de se loger dans son cœur.
Tu sens sa peur monter au rythme où tes liens se desserrent,
Au rythme où tes pupilles se dilatent,
Au rythme où ta gueule s'étire.

Tu vois l'horreur dans son regard, la peine qui noie ses yeux. Tu sens sa détresse, ce sentiment d'injustice,
pendant que toi tu lui tends les bras.
La scène comme au ralentit, la caméra suivant ses pas. Le sol foulé, la terre presque retournée. Son visage perdu dans la vision imposée. Alors qu'il ne voit que toi, toi, toi,
Mordred. Apparaissant comme le héros pourfendant les ténèbres qui l'entourent. Il se donne à toi. S'abandonne à toi. Il a perdu espoir. Ou plutôt, te voit comme son dernier espoir pouvant mettre un terme à l'enfer qui tempère sa vie. L'angle arqué sur l'échancrure qui te sert de bouche, sur le bras tendu dans sa direction, les griffes acérées, prêtes à l'affront.

et le film s'accélère. Tu lui bondis dessus et tes crochets se plantent dans la chaire recouvrant ses côtes.
Pause.
Debout la main transperçant sa peau, ton visage soufflant ton haleine affamée à son cou.
Lui, stoïque, le sang à la bouche.
Tu sens le bout de tes ongles effleurer un organe.
Alors tu délie tes doigts dans l'intention d'attraper et d'arracher le morceau de fibres. Il sera parfait en guise d'entrée.


Mais voilà que le film se remet en lecture, augmentant sa vitesse dès l'instant où sa conscience le réveille. Le bruit perdu d'un claquement de doigt, et les lianes qui viennent à nouveau serpenter jusqu'à toi. Elles s'enroulent à chacun de tes membres, te tire pour t'éloigner de ta victime et tu pousses un râle de colère et de frustration. Ta main est arrachée d'entre ses organes, t'empêchant t'attirer ce qui aurait pu tempérer ta faim. C'aurait ta première bouchée de monstre, en trois ans d'existence.
Dommage.

Te voilà tiré en arrière, ligoté comme un crucifié.
Tu te débats dans l'immédiat, t'arrête dès l'instant où ses mots, perturbés par son souffle saccadé, t'atteignent.
Ben oui Fye. Qu'est-ce qui le retient de t'acheter, là, maintenant, tout de suite ? Tu n'es un rat, un nuisible parti chassé pour assouvir un désir et un égoïsme pur. Ta bonne conduite n'aura duré que peu de temps. Funambule sur le fil de la raison, il a suffi d'une bourrasque pour te faire vaciller et te revoilà en train de chasser, Fye. Noyé dans le séisme de tes sentiments. Perdu dans les évènements. C'est comme on avait dit, Fye. Un pas en avant, deux en arrière. Des bonnes résolutions balayées d'un revers de la main.

Et tes yeux sont rivés sur la blessure de son flan.

La gueule ouverte, un ricanement qui prend en sonorité.

▬ Pourquoi pleures-tu ? Ta vie est si misérable que tu serais prêt à l'abandonner. J'ai senti ce que tu as vu.

Ton rire éclate.

▬ PAUVRE !!! PAUVRE CREATURE !! Ils sont tous contre toi dis-moi. Ils ne comprennent rien. Jamais rien, pas vrai ?

T'as cessé de te débattre, tes mirettes l'observant de haut en bas.

▬ Je t'avoue que ça me ferait bien chier de me faire faucher par quelqu'un qui ne tient même pas à sa propre vie.

Tu ne prends pas la peine de parler de ta propre estime. Désireux de te faire couper la tête à certains moments, fuyant à d'autres et espérant trouver une issue à ce cauchemar qu'est devenu ta vie. Une porte de secours qui te permettra de voir la clarté du monde sans le voile sinistre qui l'accompagne. Surtout depuis tes retrouvailles avec Gabriel. Il est ce faisceau lumineux auquel tu veux te raccrocher. Auquel tu désires t'agripper et pourtant, voilà où tu te trouves. Trois pas en arrière, Fye. Bravo.

Ton regard s'assombrit. Comme si revenait à la raison. Comme si le nom de Gabriel suffisait à percer les nuages noirs venus t'étouffer.

Il te réclame une bonne raison de ne pas t'achever. En réalité, tu n'en a pas à lui fournir. Bien trop fier pour te livrer. Surtout à un de cette race-là.
L'arc de ta mâchoire crispée, tu craches une vérité miroir.

▬ ... Je les déteste. Je les déteste tous.

Les monstres, ceux qui ont fait de ta vie la parodie qu'elle est aujourd'hui.

 

Le crachat dans tes derniers mots pour venir salir et maudire les êtres infects que tu hais par-dessus tout. Ceux qui s’en sont pris à ta sœur. Ceux qui s’en sont pris à tes proches. Au frère de l’un de tes plus proches amis. Tu t’en souviens comme si c’était hier. La folie créée par eux et leur comptine de vie; venue ronger le cœur et l’esprit de Lancelot. T’as été témoin de sa perte de raison. De son déchaînement de violence avec, pour chef d’orchestre, rien d’autre que la haine insufflée par ces bêtises ambulantes.

Et dont tu fais partie aujourd’hui.

Tu craches. Crache tes mots comme tu cracherais le poison qui serpente dans tes veines depuis trois ans, bientôt quatre. Tu craches ton dégoût. Crache ta frustration. Crache ta peine comme tu aurais hurlé au ciel d’arrêter de t’envoyer toutes ces merdes à la figure. Qu’il récupère son Karma venu s’abattre sur toi avec un peu trop d’entrain et de jouissance. Que le monde cesse de te rire à la figure. Que les autres cessent de te juger et de t’accabler. Qu’on t’accorde la paix et le pardon.
Que tu t’accorde la paix et le pardon.

Parce qu’à l’origine, Fye,

tu n’as rien demandé,
putain.

Tu te perds.
Ses paroles, tu ne les entends guerre.
Suspendu dans le vide, l’esprit torturé.
Ton cœur ne bat plus pour la haine d’un appétit inassouvi. Ton cœur pleure pour toutes ces vies arrachées. Pour tous ces deuils causés. Pour ces familles détruites. Ton cœur pleure pour toi-même, mire d’un sort un peu trop ironique et injuste, dont les choix sont allés de pire en pire.

La faim au ventre que tu ne ressens plus. Balayée par ta chère amie, qui t‘accompagne au quotidien depuis des années, et qui vient se loger dans tes entrailles pour te remonter à la gorge. T'étouffant sous son poids ; la culpabilité.


Mais il n’y a pas qu’elle à l’instant qui vient chercher ton désarroi. Les lianes s'enroulant autour de ton cou te serrent et tes yeux retombent sur la créature protectrice de la forêt. Tu oublies. Tu oublies tout, l’espace d’un instant. Ton corps a cessé de se débattre. La respiration coupée, tu pressens déjà la brûlure de tes poumons. Ta colère s’est envolée, comme un foyer étouffé par la quiétude d’un drap.
Enfin,
enfin ton existence devenue un cauchemar pour toi et les autres va prendre fin.

Depuis combien de temps attends-tu, les bras levés au ciel, qu’un bourreau vienne te trancher la nuque, emportant ton âme dans le néant. Tu ne veux pas de l’enfer, et tu ne mérite pas le paradis. Qu’on t’accorde le vide. Qu’on t’accorde au moins ça.

Battu, le corps lâché, la tête inclinée vers le bas, les yeux rivés vers le sol avant que tes paupières ne t’aveuglent.
T’es prêt à partir.
A le laisser te faucher la vie.

Ta gueule disparaît au profit de ta mâchoire osseuse. Tes crocs disparaissent, tes griffes se rétractent pour ne laisser que tes doigts aux ongles arrachés et rongés; symptôme psychosomatique de ta détresse silencieuse, masquée par tes sourires.
Le masque fond pour laisser apparaître tes traits encore juvéniles, humains, marqués cependant par une vie sévère. Ta tignasse se dissipe, révélant le fouilli réel de tes cheveux cuivrés.

Tu sens la paix caresser ta nuque.
La promesse d’une fin espérée.

Quand finalement,



J’entends ta voix, venue de nulle part.
J’ignore d’où me parviennent tes échos.
Je vois ta silhouette se dessiner peu à peu dans le noir, comme mise en lumière par un faisceau clignotant lentement.
Je te vois à genoux, le visage pris dans tes mains.
Ton corps tressaute.
Tes cris m’atteignent.
Tes pleurs m'arrachent le cœur.  
Gabriel.
Et derrière toi, apparaissent dans le clignotement lumineux, les silhouettes d’Ezechiel, Gawain, Solveig et d’autres, d’autres. Des amis lâchés. Des amis abandonnés.
Dans une lâcheté méprisable.

▬ Je ne peux pas….

Je redresse la tête, mes yeux ouverts, noyés dans le regret. Ma voix tressaute par le souffle qui me manque.

▬ Je ne tiens pas à la vie… Pas plus que le dernier des damnés. Pas à celle-ci… Mais je ne peux pas… les abandonner…

Pas une deuxième fois.
Pas une deuxième fois par lâcheté.
Je ne leur infligerait pas un nouveau deuil.
Je ne serais pas l'égoïste qui s’en va et qui s’en fout. Qui s’en fout de qui il laisse derrière lui et dans quelle peine.

▬ … pas encore..

Voilà qui luit, derrière le voile de larmes l'éclat nouveau, d'une détermination.
Les poings serrés, non pas par une envie de cogner, mais par celle de se battre, en écho avec le tambour caché dans ma poitrine et qui palpite ;
Gabriel
Gabriel
Gabriel

▬ laisse moi quitter la forêt...s'il te plait. 

Surveille-moi si tu doutes, c'est légitime.

Mais j'ai quelqu'un à aller prendre dans mes bras.