Fye, tu entends son rire à travers le couloir. A travers les murs. A travers ta tête qui te supplie, bon dieu, d’aller le faire taire ou d’aller le rejoindre parce que dis donc, pour rire aussi fort, c’est que la blague devait être vachement drôle. Spoiler : non. Son humour ne vole pas haut. N’a jamais volé très haut. Il lui en faut peu pour l’amuser, peu pour le tuer de rire. C’est sa façon d’être et parfois, ça peut être vachement irritant. Mais lui, il s’en fout. Il a pas trop conscience de déranger quand il se fend la poire avec Marty Michel, parce que tu vois, il passe un bon moment. Alors relax Max.

Fye, c’est un passionné. Un passionné de tout. Un passionné de rien. Des escargots, des cétacés, un passionné de cuisine aussi - jadis - qui n’a pourtant jamais su faire cuire des lasagnes sans les cramer. Il a toujours pu compter sur la famille et les amis pour cuisiner à sa place. Et au pire, un plat réchauffé ou une commande passée et zoup, il était heureux. Aujourd'hui il mange ta mère et zoup, il est malheureux.

Il est sociable, Fye, il l’a toujours été. A l’école, il était le premier à lever la main quand le mot “volontaire” était prononcé. C’était le gosse bavard et turbulent au carnet rempli de retenues. Mais c’était aussi l’élément moteur, celui derrière qui s’engouffrait le courage des autres. Comme s’il passait devant pour mettre à terre les ronces et les orties. Fye a toujours été de ceux qui encouragent, ceux qui tendent la main vers l’autre sans rien attendre en retour. Bien loin de se sentir reclus par sa différence - un norvégien en Corée hein - il en a profité pour hisser bien haut les couleurs de sa singularité.

Fye, il défend. Bec et ongles. C’est celui qui va se dénoncer à la place d’un autre pour lui éviter les problèmes. Mais c’est aussi le pelo capable d’aller rejoindre une baston dans la rue juste parce que son syndrome du héro lui chuchote suavement qu’il ne peut pas rester là les bras croisés.      

Et c’est ce qu’il l’a perdu. Ce jour-là, où Mordred a failli. Happé par son désir et rôle de protecteur, il a fait barrage entre la monstruosité et Ezechiel, son frère. Frère pour qui son cœur à cessé de battre l’espace d’un instant. Frère pour qui ses sentiments furent un labyrinthe biscornu et dont l’issue pourtant a toujours été bienveillante.

Mordred est mort ce jour-là. Dame faucheuse emportant avec elle la douceur et l’authenticité d’une âme au regard azuré.

Depuis trois ans, Fye vit dans le déni. Reniant de tout son être l’horreur qu’il est devenu. Il s'accroche, Fye. Il s’accroche à cette figure de bon samaritain, au rire communicatif et à cet esprit léger qui le définissaient dans sa plus pure nomenclature.
Il tente de faire bonne figure.
Il réussit parfois, échoue à d'autres.
S’attache par nature, mais se détache par prudence.
En conflit avec lui-même. Il ment. A lui-même comme aux autres. Sujet parfois à des crises de paranoïa ou de folie. Il s’arracherait la peau de ses propres ongles si cela lui permettait de retirer la bête vivant au rythme de son propre cœur.

Fye, c’est le gars au sourire angélique à qui tu tends ton ticket de transport, et qui, la même nuit, n’a pour sourire, qu’une large échancrure béante.  

Tu as les mêmes yeux que ton père.

Et il n’en a jamais éprouvé de honte ou de complexe, malgré sa jeunesse passée en Corée, à Busan. Sa différence, il a tenu à la faire remarquer, à la faire accepter. Fye est né en Norvège, fruit d’une nuit sans lendemain qui fut pourtant loin de lui causer une vie pleine de reproches et de haine parentale. Une mère aimante et un beau père à l’esprit aussi bienveillant que sincère, Fye a été accueilli et élevé dans ce foyer au quotidien apaisé.

Apaisé, jusqu’à ce que l’âge et la raison le rattrapent, martelant dans son crâne que ce petit frère, au teint aussi terne et aux iris aussi gris, il n’en voulait pas. Création d’une rivalité, presque d’une rancœur, entre deux êtres totalement opposés et qui pourtant, partagent le même sang. Le même regard doux et protecteur d’une même mère. Amusée par leur chamailleries quant, eux, prenaient l’affront de l’autre comme une réelle déclaration de guerre.

Différents au point de se renier l’un l’autre. Comment un être, si espiègle, si affirmé et à l’aise socialement pouvait être lié organiquement avec un ectoplasme ? Être fantomatique qui aurait tout à fait pu donner son nom à un camaïeu de gris. A plusieurs reprises, les frères se sont posés la question, dégradant l’autre pour se hisser soi-même au-dessus. L'aîné ayant comme avantage d’avoir ce cliché mêlé de facilité à faire de l’ombre au cadet. Même si quelques mois seulement les séparaient, l’écart entre eux demeurait grand.

Et elle est arrivée neuf ans plus tard, Solveig. Réel rayon de soleil pour lequel Sang Min et Fye ont accepté de signer une trêve. Aussi brève soit-elle. Elle a su adoucir leur coeur, couvrir leur hargne, balayer leur sarcasmes. Joyaux d’une famille qui, doucement, se retrouve. Jusqu’à cette nuit. Sortis tous les trois dans les rues de Busan, avec l’accord des parents, la benjamine parvient à s’échapper de la surveillance des deux aînés, occupés à une dispute aussi futile que ridicule.

Comme marqué au fer rouge, Fye se souviendra à jamais de cette nuit. Les piaffements de Sang Min, le brouhaha de la rue couverts par le clapotis d’une pluie fine. Les panneaux lumineux qui doucement se sont mis à clignoter pour finalement laisser l’obscurité les engloutir. Et puis ce cri. Ce cri de terreur. Cet hurlement qui glace le sang. Qui fige. Qui interdit. Qui paralyse. La voix de Solveig, agressée, quelques mètres plus loin. A peine camouflée par le feuillage d’une étendue d’herbe et de flore.

Il avait quinze ans à peine. Et il était terrifié. Il ne saurait dire d’où lui est venu cette impulsion, mais il a couru. Couru vers sa sœur. Vers cette bête aussi immense que répugnante. A la gueule grand ouverte, défigurant sa face bestiale pour engloutir ses propres traits par le retroussement de sa bouche. Ignoble. Repoussante. Terrifiante. Fye s’est figé à ce moment-là. Le regard vibrant de peur, le nom de sa sœur mourant sur ses lèvres tandis que ses jambes le lâchèrent, cognant ses genoux dans le bitume trempé. Il a vu la mort de Solveig ce soir.
Il a cru la voir.
Soudain, un éclair lumineux, et puis plus rien.

Un monstre. Et des chasseurs pour les éliminer. Ce soir-là, l’innocence de trois jeunes enfants fut dérobée.

“Je pars.”

Il avait enfilé sa veste, ajusté ses mitaines. L’heure des au revoir avait sonné. Il avait serré chaque membre de sa famille dans ses bras. Pris davantage de temps avec Solveig, inspirant son parfum, caressant ses cheveux. Il a mit fin à leur étreinte, s’est posté devant Sang Min. Et l’a regardé de haut.

Après ça, il a tourné les talons, franchi la porte du foyer. Il a pris son avion et s’est engagé à Los Angeles dans une école de chasseur. Le cœur battant pour une seule cause, débarrasser la surface du globe de ces monstruosités. Créer un monde dans lequel sa petite sœur pourra sortir la nuit en toute sécurité.  

Alors il s’est donné du mal, pendant six ans il n’a jamais baissé les bras. Tirant de chaque échec une force et une motivation supplémentaires. Les années l’ont forgé, le hissant jusqu’au noble rôle qu’est celui de paladin. Parmi les six autres, il était celui qui maîtrisait l’élément aquatique dans l’un de ses dérivés. Ajustant sa technique dans le maniement de ses dagues. Il était réputé pour conter fleurette à ces dames, confortablement assuré par une confiance grandissante couplée à une candeur lui permettant une certaine liberté. Il était Mordred.  

Il avait 21 ans, elle en avait 19. Esther, qu’elle s'appelait. Elle était belle, intelligente. Pour elle, il avait décidé de s’investir. Pour elle, il avait décidé de cesser d'enjôler les autres demoiselles. Il avait eu ce coup de cœur. Intense. Passionné.
Son premier amour de jeunesse.

Mais c’était sans compter sur le renégat de sa famille. Lui, toujours incapable de vivre bien sagement loin de son ainé. Troquant son blase Coréen pour Ezechiel, l'ectoplasme l’avait rejoint. Traversant les continents pour continuer de marcher dans l’ombre de Fye, occupant la place d'écuyer.
Et pour lui arracher le cœur et creuser un peu plus le fossé. Esther tomba dans ses bras, délaissant Mordred qui parti délivrer sa peine en massacrant les démons de nuit.

Son chagrin s’est tari. Sa force s'est développée. Sa relation avec Ezechiel prit diverses  tangentes. Tantôt positives, tantôt négatives. Fye n’a jamais fait de cadeau à son frère, mais l’a toujours félicité à chaque exploit.


"Bouge de là, tu me gènes."


Il avait le sourire vorace, l’assurance dans la voix. Le sang sur les tempes, la sueur qui s’y mêlait.

Ravagé par son désir de vaincre et de protéger les autres, Fye s’était dressé, cette nuit-là, entre son frère et la bête.

Un monstre unique. A la force et au pouvoir écrasant. Il n’y avait que Mordred pour le terrasser.

Il l’avait cru.
Il s’en était persuadé.
Ezechiel allait y laisser la vie s’il n’intervenait pas.

Alors il a fait barrage, encaissant les assauts, retenant la bête à distance de son frère. Pour lequel il hurlait de s’enfuir.
Il était l'aîné, c’était son devoir de le protéger.

Ezechiel fut épargné
et
Mordred est tombé cette nuit-là.


Il a vu la Mort se pencher vers lui. Caresser son menton et ses joues de ses griffes acérées.
Il a entendu la Mort l’accueillir dans son royaume.
Alors il a fermé les yeux, confiant ses rêves,
ambitions,
et armes,
à la génération suivante.

Sa vie aurait pu s’arrêter là.
Mais le feu s’est invité en lui. Dévorant ses veines. Consumant son âme.
Il se souvient avoir pensé, que les portes du Paradis ne s’étaient pas ouvertes pour lui et que l’Enfer, l’accueillant à bras ouverts.


Il s’est réveillé dans un état déplorable. À des kilomètres de Los Angeles.
A des kilomètres de sa vie.

Son existence, il se l'ait faite arrachée.
L’essence même de son être, dépouillée.
Il s’est senti sali.
Ne valant pas mieux qu’une gerbe de vomissure à la face angélique.  

Lui, dont l’ambition première était de purifier le monde des indésirables, se retrouve contraint de vivre dans la peau d’un des leurs.

Le chasseur qui devient un monstre.
Le monstre qui chasse l’humain.
L’humain protégé par le chasseur.

Il ne sait plus où se placer. Comment se définir.
Il est Mordred après tout.
Mais il a si faim.

Resté trois ans sur la côte Est des Etats Unis, Fye s’est fait oublié. Après tout, quelle honte d’avoir échoué de manière aussi misérable.
Le temps pour lui de s’adapter à sa condition.
De chercher à comprendre pourquoi et par qui.
Le temps de se maudire.
De céder à l’appel virulent de la faim.

La folie le grignote petit à petit.
Influencé par les miettes de son pouvoir.

Ne sachant toujours pas où s’aligner.
Protecteur
Chasseur

Jusqu’à ce qu’une rumeur circule, le poussant à remettre les pieds dans l’Etat qui l’a couronné “Mordred.”

Pseudo : Shis
ge : Dumbledore
Pronoms : Elle/She
Commentaire : Ricotta