Nova n'aime pas cet endroit. Elle préfère se débrouiller comme elle peut au lieu de venir réclamer de la nourriture comme un parasite. Mais le temps est froid et manger chaud pourrait réchauffer ses os glacés. Alors elle fait la queue, la tête cachée au fond de sa capuche, comme une voleuse. Elle ne se sent pas légitime et ne veut pas de la pitié des regards qu'elle croise. Les mains dans son sweat elle évite de regarder les autres, s'occupe de sa propre carcasse, sac à dos vissé sur le dos. Il faut dire que la queue est longue, un coup d’œil devant elle, Nova compte. Deux, trois ... Encore cinq personnes à qui l'on donne une soupe chaude et du pain pour l'accompagner. Oh ils auront certainement un plat chaud s'ils ont de la chance, quelque chose qui tient bien au corps. Elle pourrait rester au chaud, Gawaïn l'oblige parfois à rester dans son bar pour y dormir et se laver. Mais par chance il ne peut pas rester près d'elle 24h/24 et lorsqu'il est occupé elle s'échappe et sort dans le froid. Parce qu'elle a besoin d'être seule, besoin de ne plus dépendre de quelqu'un. Nova n'est qu'un boulet pour les autres, même si elle travaille pour le grand homme pour rembourser sa dette elle n'y trouve pas son compte. Il lui donne trop pour ce qu'elle lui apporte et la jeune femme n'arrive pas à comprendre pourquoi il fait ça pour elle. Oui ils sont en train de construire une relation saine mais avant il ne la connaissait pas, la croisait seulement à droite et à gauche. Et pourtant il l'a ramassée dehors, là. Comme un chaton dont on viens en aide.

Nova sursaute quand on la pousse en avant. C'est à son tour maintenant et perdue dans ses pensées elle n'avait pas vu que la queue se raccourcissait. Alors elle avance en bougonnant une excuse, les yeux baissés. Elle prend son petit bol et se décale sur le côté pour tendre la main et prendre le pain. Mais ses yeux son attirés, alors sans faire attention elle croise le regard de la femme en face d'elle. La blanche se fige, cligne des yeux. Ses doigts se sont fermés sur la nourriture mais elle reste là, subjuguée. Pourtant il ne lui semble pas avoir déjà vu cette personne, alors pourquoi cette sensation au fond de son petit être ? Cette sensation viscérale qui lui tord le ventre.

❝ M-Merci. ❞

Nova est figée dans le flot de gens qui bougent près d'elle. La soupe va certainement refroidir mais c'est plus fort qu'elle. Comme si elle venait de voir une apparition.

Nova prend trop de temps, agace les gens rassemblés, s'attire les foudres et les regards courroucés des vieux et vieilles attendant leur tour. Il y a même une femme enceinte qui l'insulte mais elle n'entend pas, ses oreilles bourdonnent trop pour ça. Lorsque la femme pose ses doigts sur sa peau, elle est parcouru de petits frissons qui remontent le long de son bras et la font frémir de tout son être.

❝ Oh. Oh oui bien sûr, pardon. ❞

La blanche ne peut s'empêcher de garder les yeux fixés sur elle, jusqu'à ce que son cou ne puisse plus se tourner alors qu'elle avance avec son bol et son pain pour se poser non loin, près de l'entrée sur une table haute de fortune. Son ventre crie famine alors que l'odeur du potage lui monte au nez. Elle la boit doucement à cause de la chaleur, profite pour réchauffer ses doigts et croque dans le pain pour en faire une bouillie mélangée à la soupe qu'elle avale ensuite. Au moins elle a l'impression de manger quelque chose qui tient au corps, qui tiendra jusqu'à son prochain repas à une date incertaine. Mais elle ne peut oublier le visage de la femme, elle se retourne pour la chercher du regard et croise le sien alors qu'elle vient vers elle avec le reste de ses provisions.

❝ Merci beaucoup madame. ❞

Elle baisse les yeux, intimidée de telle manière qu'elle à l'impression de se faire écraser par sa seule présence. Nova se claque mentalement. La femme est gentille et lui a même rapporté les restes de son repas, qu'est-ce qui ne va pas avec elle ?

❝ Désolée pour tout à l'heure, je ne voulais pas paraître malpolie. C'est juste que ... C'est comme si je vous connaissait déjà c'est assez bizarre, pourtant votre visage ne me dit rien, c'est plus ... ❞

Nova croise de nouveau son regard et pose sa main sur son torse. Ouais elle le ressent en elle mais allez expliquer ça à quelqu'un qu'on vient de rencontrer ...

La phrase de la dame résonne dans sa tête, fait écho à son passé, à sa maison et son existance morne avec ses parents insatisfaits. Les couleurs tracés sur sa peau en cas de mécontentement. Mais la joie entre tous les enfants, les frères, les soeurs, les amis.

❝ Plus jeune ... ❞

Ca résonne encore mais Nova ne fait pas le lien entre les mots de la belle dame. Ou peut-être ne le veut-elle pas, se protégeant derrière la fumée du souvenir. Pourtant au fond d'elle-même, oh l'enfant à saisis son trouble et reconnaît ce visage angélique. Alors ses mains tremblent alors qu'elle prend la nourriture qu'on lui a apporté, elle met ce trouble sous le coup de l'émotion que la femme provoque en elle.

❝ Je ne vivais pas ici avant. J'ai fais un long chemin pour arriver dans ... ici. ❞

Dans la misère ? Dans ces rues sales et dégoutantes ?

❝ Vous avez déjà voyégé jusqu'en Iowa ? ❞

Malgré elle, Nova pose la question. Elle se sent fiévreuse, elle sent qu'elle met le doigt sur quelque chose d'important. Une chose si importante et pourtant qui reste à la lisière de sa conscience. Ses doigts jouent avec le pain sec, grattent la croûte comme si elle pourrait y trouver ses réponses. Nova redresse la tête et observe la rousse impeccablement habillée et coiffée. Elle détonne dans ce monde qu'est le sien et se demande pourquoi elle est là. Mais une question à la fois.

D'une timidité dévorante, Nova jette un coup d'oeil de derrière sa frange. Elle observe la dame qui lui avoue être déjà allé là-bas. Oublié son petit pain plus très frais, oubliée la soupe à l'odeur de légume bouillis un peu trop longtemps. Elle n'a d'yeux que pour cette femme qui lui semble avoir déjà croisé. Après tout peut-être qu'elles se sont simplement croisées dans la rue, ou quelque part. Dans un supermarché, en sortant de l'école ou des amis de ses parents. Oui, après tout parfois le monde est simplement petit.

Oh pourtant Nova sent une boule grandir dans son ventre, une boule qui ne cesse de grossir encore et encore sous la tension qu'à laissé la phrase en suspend de la rousse. Le temps s'espace, s'alourdit comme trop fatigué d'être simplement passé. Il semble à la blanche qu'il se passe des heures, qu'elles ne font que se regarder, les yeux plongés dans les siens et son coeur à elle battant à tout rompre. Et quant enfin elle reprend la parole, la tension fait exploser la boule qui entravait sa respiration. Nova reprend sa respiration comme quand on revient à la surface après avoir nagé dans les eaux sombres, sans détourner le regard. Elle serre les mains sur son pain qui craque, reprend une autre inspiration saccadée et ose enfin ouvrir sa bouche. Et si ...? Non, impossible une femme comme elle ? Elle aurait fait quoi d'ailleurs, que s'est-il passé cette nuit là ? Quelle nuit ?

La panique dans la voix, elle tente une première fois de poser sa question. La première syllabe est trop aigue, alors elle tousse comme si elle avait avalé de travers, détourne enfin le regard et reprend ses esprits. De quoi a-t-elle peur ?

❝ Un incident ? ❞

Deux mots, qui ont failli ne jamais sortir de ses lèvres. Deux tout petits mots qui n'avancent certainement à rien. Et pourtant Nova a l'impression d'avoir couru pendant des heures. Elle fait craquer une nouvelle fois le pain entre ses doigts, se rend compte qu'elle ne fait que l'écraser depuis tout à l'heure alors elle l'amène à sa bouche pour croquer dedans du bout des dents. Elle se sent déjà bien assez retournée pour manger mais il faut qu'elle paraisse normale. Il le faut. Continuer à sourire comme d'habitude, cacher les sueurs froides qui coulent sur ses flancs et son cœur qui court à cent à l'heure. Pourquoi ?

Elle n'en sait putain de rien.