L'eau avait sali ta peau si blanche de rougeurs loin d'être adorables. Le gant n'avait pas enlevé le sang que tu voyais encore sur tes mains. Et rien, rien, ne semblait vouloir avoir d'autres couleurs que ce rouge que tu voyais encore sur tes gants ivoires, sur ce rouge qui ne s'arrêtait pas de couler, couler, couler, couler-

Comme toi.
Tu te noies.
Dans tes pensées.
Dans tes images.
Dans des mirages.

Et t'as besoin de partir, de t'évanouir, de plus penser. Ca tombait bien. Dans ton malheur, t'avais un peu de bonheur. Tu pouvais t'éloigner, partir, t'avais des congés. Parfait. Alors, alors t'avais roulé, quatre heures, c'était pas si long, et tu le faisais si souvent, c'était un peu comme une promenade au printemps. Toujours un peu agréable, toujours les pensées qui dévalent, et les cheveux qui s'emmêlent dans ta cavale. Parce que quand tu quittes Los Angeles pour Las Vegas, ah, Zack, c'est que t'es en cavale, c'est que tu t'enfuis, c'est que tu fuis, tout ce que tu es, tout ce que tu désires, tout ce que tu n'es pas, et tout ce que tu voudrais être.

Dans ta détresse, dans ton moment d'égarement, alors que t'avais un peu besoin de tendresse, de soulagement, tu l'avais appelé, dès que t'avais mis les pieds dans cette ville que tu connaissais presque par cœur. Après tout, ça fait plus de dix ans, Zack, que tu t'y enfuis, que tu t'y noies, que tu t'y perds. Et t'avais presque vu son sourire, en entendant le son de sa voix, ça t'a étiré les lèvres, et t'imaginais déjà le moment où tu n'allais plus penser, et où t'allais te laisser porter par tout ce qu'il pourrait te proposer.

Tu t'étais garé quelque part, pas si loin, juste cinq petites minutes de marche, parce que t'avais pas trop envie de te garer devant chez lui. Et t'avais attendu un peu, et t'as attendu un peu. Jusqu'à ce que tu te sentes prêt à oublier, à ne plus voir ce rouge sur tes mains que t'enfouis dans tes poches quand tu quittes ta voiture. Et tu grimpes les quelques marches du pallier, laisses échapper un sifflement impressionné : tu l'imaginais pas si blindé. Tes doigts trop fins viennent appuyer sur la sonnette, et il n'y a que quelques secondes qui séparent le son strident à l'ouverture de la porte, et Emmett, dans toute sa splendeur, se dévoile.

Il semble heureux. T'as jamais vu Emmett autrement que heureux, dans tous les cas. Le contexte de vos rencontres n'aident pas aux malheurs, dans tous les cas. Et il te laisse entrer, déjà si vivant que t'en souris un peu, ça te soulage, ça t'aide à oublier, à faire fuir les pensées qui tournent, tournent, tournent et se-

Stop.

Attention où tu mets les pieds. Et en effet, tu le vois enjamber une pile de journaux. Tu fermes la porte et pénètres dans son antre, enjambe également la pile de journaux. Ton regard est attiré par tellement de choses que tu en oublies sa question, qu'il te faut un moment pour y répondre.

« Ça allait. Puis j'ai l'habitude, » et tu chasses un peu le reste de tes paroles, comme si elles n'étaient pas si importantes. Et ton regard vadrouille, à droite, à gauche, s'arrête sur des vinyles et tu es tenté de t'en approcher, et t'en approches, regardes quelques titres sans les toucher. Un nouveau sifflement d'admiration t'échappe, sans que tu ne t'en rendes compte. « Belle collection. » Mais déjà, il t'attire ailleurs, et tu le suis, te laisses tomber sur la première chose qui peut accueillir ton corps. Tu t'étires, fais craquer ta nuque et ton dos dans un soupir de plaisir. J'ai mis une chemise ivoire, car ça rime avec "boire", et j'aime accorder ma tenue avec mes activités vois-tu. Et tu ris, même si pouffer serait un verbe plus adéquate à ton rire un peu moqueur.

« Du noir ? Ça rime aussi avoir boire. Ou du violet, ça rime avec jouer. » Et tu es prêt à boire, et à jouer, et à te laisser aller, ce soir. Tu étires tes jambes, tes bras de nouveau avant de t'affaler un peu plus. « C'est sympa, chez toi. J'te savais pas collectionneur de toutes les choses qui existent au monde. » Et c'est un peu pour engager la conversation, alors que ton regard fait de nouveau de l'oeil à cette collection de vinyle que tu jalouses un peu.

Emmett bouge, dans tous les sens, sans s'arrêter. Même en étant statique, les deux pieds bien ancrés au sol, t'as l'impression qu'il bouge dans tous les sens, qu'il est vivant à n'en plus pouvoir. Une frappe sur le front, et tu pouffes de nouveau, affalé sur le siège. Emmett enlève sa chemise - avec très peu de douceur - la jette quelque part dans la chambre. Tu ne vois pas où elle atterrit, par contre, tu vois la montagne de vêtement s'effondrer alors qu'Emmett en extirpe une veste noire en satin. « Bon choix, » commentes-tu en hochant la tête.

Il enfile sa veste, comme la cerise finale sur un gâteau au chocolat, fait une pirouette et tu applaudis en hochant la tête. Soyons honnête, si tu n'étais pas sûr à 100% de te prendre un vent, peut-être que t'aurais tout tenté pour qu'Emmett devienne plus qu'un pote de soirée, parce qu'Emmett a un peu cette capacité.

avec lui, t'as presque l'impression d'exister
de vivre, de t'évader, de faire des envolés
avec lui, t'as presque l'impression d'être aimé
pas de la façon dont tu voudrais
mais juste un peu, être apprécié

Tes paupières papillonnent, et le revoilà reparti sur autre chose. Sa collection. Et ton sourire qui s'était effacé revient en force. Ça n'a duré qu'un instant, qu'une courte seconde. Il t'invite à fouiller, à faire farfouiller, à chercher ici et là, à observer. Et tu quittes le fauteuil qui absorbé déjà à moitié ton âme, et tu t'approches de lui, sifflotes en observant le vinyle qu'il tient en main : « Tu sais, la musique et moi, on est vraiment très copains. Y'a des classiques qui vieillissent pas. » Tu observes le vinyle, Emmett ensuite, avant de t'accroupir devant la pile qui semble tenir par tu ne sais quel acte magique. Tes doigts pianotent sur les tranches, tes lèvres s'entrouvrent quelques fois de surprise. Crowded House, Phil Collins, Kate Bush, The Spinners. Billy Paul. A chaque fois qu'un nom attire ton regard, tu chantonnes en silence. Et tant de nom que que tu ne connais pas, et tant d'autres que tu connais. « Vraiment, c'est ceux qui disent qu'il faut brûler ta collection que tu devrais brûler. » Et un rire t'échappe alors que tu t'assois en tailleur, pour mieux t'isntaller et observer tous ces titres que tu aimerais chanter.

Main sur ton épaule, et tu inspires. C'est terrible, ton besoin de contact physique. Tu contrôles pas. Ça te rend bizarre, un peu malheureux, et en même temps si heureux. T'as le coeur qui fait une envolée. Pas parce que tu désires quelque chose, pas parce que t'as envie de quelque chose, non. Non. Seulement parce qu'on te regarde, on te touche, parce qu'on te fait comprendre que tu existes. Et en ce moment, aujourd'hui, à ce moment précis, t'as besoin qu'on se rende compte que tu existes, que tu es là, présent, et que tu es une entité à toi, juste à toi. Et tu v eux éviter de retomber dans les tréfonds de tes pensées.

Il t'interpelle.
Tu reviens à toi.

Pendant un instant, tes pupilles se sont fixées sur un point, au loin, pendant un instant, tes oreilles se sont bouchées, comme si tu étais sous l'eau, pendant un instant, t'as cru arrêter de respirer. « Tu sais, j'ai toujours mon briquet sur moi. » Et pour prouver tes dires, tu fouilles dans les poches de ton pantalon, en sors ton zippo et joues avec fierté avec, sans jamais l'allumer. Sait-on jamais. Et alors qu'il continue, ton regard se perd de nouveau sur les titres des vinyles, tes doigts faisant passer le briquet ici et là. Tu sais, j'étais un peu le Sinatra britannique. « Oh, faut le prouver, ça, alors, » lâches-tu d'une voix basse, dans un sourire, avant même qu'il ne termine vraiment sa phrase.

Et il n'en faut pas plus pour Emmett. A peine un raclement de gorge, et le voici debout devant toi, quelques pas de danse, et la voix qui se laisse aller. Toujours en tailleurs, tu laisses tes mains se poser sur le sol, légèrement rejeté en arrière pour apprécier la performance. Et tu te permets de le rejoindre dans les paroles, d'une voix moins prononcée, plus calme, presque un murmure. Et une fois la performance terminée, tu applaudis en riant : « T'as raté ta vocation. Ça va finir en soirée karaoké, au lieu de soirée à jouer. » Et qui sait, peut-être que ce genre de soirée aussi, te plairait. C'est une facette que tu n'as pas connu de lui, que tu apprends à connaître, et elle te plaît bien aussi.


hrp : j'ai failli edit le post précédent au lieu de citer, j'ai cru que j'allais crever.