01/12/2022


Les doigts qui tapotent sur l’écran tactile, rédigeant un message, un peu un appel à l’aide. Le pouce qui presse le bouton envoyer. Une attente qui se prolonge et une réponse qui ne vient pas. Bordel mais qu’est-ce que tu fous pour ne pas répondre ? Les gens ne sont-ils pas censés être branchés h24 à leur natel ? Un peu comme si c’était l’extension de leur main ?
Je râle, décide finalement de t'appeler.
Et tu ne réponds pas.
Crois moi mon coco, je ne vais pas te laisser tranquille aussi facilement, c’est très très mal me connaître. Dans une autre vie, on m'appelle la tique. Héhé.
Je rappelle. Et cette fois-ci, tu décroche.


▬  Ouai, c’est moi. J’ai besoin de toi là. Marrant comme on esquive les politesses. Faut dire que face à un monstre, ça m’arrive d’oublier certaines règles de bienséances. Quoi ? Genre même pas tu proposes de partager ? Ppfff… T’as prévu de sortir là ?.... Ouai, ok, vu que tu fais ta feignasse, j’arrive. Bouge pas. Ouai, a toute.


Je raccroche, enfile un blouson et en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, je suis déjà debout devant ta porte à sonner comme un flic en perquisition.  Tu ouvres et je m’engouffre chez toi après avoir cogné mon poing contre le tien. Si au début ça me dégoûtait un peu, j’admet qu’aujourd’hui ta personne à un potentiel sympathie assez élevé.


Je m'installe sur ton canapé et tu m’y rejoins après avoir fermé la porte. Les mains sur ta manette, les yeux rivés sur l'écran, tu engages la conversation. Il est tard, ou tôt ça dépend du point de vue de chacun. Et tu ne sembles absolument pas importuné par mon invasion. Ce côté très relax et très chill me fait envie. J’ai toujours l’impression d’être sous pression, dans l’angoisse, incapable de suivre le dicton Carpe Diem qui pourtant sonne franchement bien.
Je soupire, braque mon regard sur l’écran comme pour me faire absorber et oublier un peu la douleur des mots.


▬ J’ai la dalle putain. Et ça me saoule à un point. Gaby est parti chasser cette nuit, et je suis resté seul à l’appart, en train de tourner en rond. Et c’était insupportable. Vas y donne une manette, ça se joue à deux ça non ? Si ça peut aider à se débrancher un peu de la réalité, je signe immédiatement. Comment tu fais ? Genre, quand ça t’obsède et que t’es prêt à défoncer un mur pour te calmer ? Tu vas me dire, bah bro’, défonce-le ce mur et tout ira bien. Haha ouai ouai ouai. Mais non. Je crisse des dents. Quelle merde...

01/12/2022


Et je croise les bras, la mine boudeuse, le regard qui part sur le côté, franchement agacé par cette condition de monstre. Cette putain de condition qui me fait regarder Gab avec, parfois, des yeux d'être affamé. Je vais pas m'amuser à le nier ; j'ai toujours eu un faible pour l'écuyer de Lancelot. Alors en plus des sentiments que j'éprouve pour lui, je dois aussi faire avec ce désir obscène qu'est de le croquer. Littéralement.
Je croise les jambes, toujours fulminant dans mon coin.

▬ C'est avoir faim tout le temps qui est putain de débile.

J'attrape la manette au vol sans trop la calculer. Être un monstre me permet au moins d'avoir les sens en alerte et le réflexe instantané. Ou alors c'est juste une faiblesse. Je soupire, passe une main frustrée dans ma tignasse rousse avant d'à nouveau m'intéresser à l'écran figé sur pause. J'allais très aimablement te demander ce que t'attends pour relancer la partie quand tu t'élances dans un discours solennel.

▬ Ouai... jsais pas. T'as bien de la chance d'être aussi mou parfois. Perso, ça grimpe vite chez moi. Et c'est insupportable.

Foutue Mère Colère. Quitte a être un monstre, j'aurais préféré hériter d'un pêché moins chiant à contrôler. Ou crever tout court. J'aurais pas eu cette vie de merde. Eeet en même temps, ça me permet de continuer à voir Gabriel. A assister à ses réveils et à lorgner sur sa présence ou non sous la douch-

▬ Ah, merci mec.

En vrai, pas sûr que ça comble ma faim. Mais je peux au moins savourer la fraîcheur de cette bière sur mon palais et longer tout mon œsophage. J'attrape la bouteille, la porte à mes lèvres. J'ai ce petit mouvement d'épaule qui veut dire "bof, jsais pas. Jm'en fou au point où j'en suis hein" quand tu rit d'un air macabre. Tu poursuis ton récit et tu as toute mon attention. Au poins que je manque de m'étouffer avec la liqueur de houblon.

Mec, t'en en train de foutre plus dans le dawa dans ma tête que ce ne l'était déjà avant. J'en suis pas encore rendu à comparer des animaux aux êtres humains. En un sens, tu as raison. Une vie est une vie, qu'importe si elle tient sur deux jambes ou sur quatre pattes.

▬ A t'entendre j'ai l'impression qu'il faudrait élever des gens comme on élève des porcs. Dans l'unique but de nourrir des raclures comme nous. Mais je suis pas d'accord. Enfin, j'suis d'accord avec une partie de c'que t'as dis. J'avale une gorgée, pousse un soupire de complaisance. C'est juste... intolérable, incon-ce-vable, mec, de manger des humains. Parce que, ouai, je l'étais moi-même, et que les monstres n'étaient qu'une race problématique à éliminer. Je lève légèrement ma bière pour préciser : et elle l'est toujours d'ailleurs. Mais maintenant que je suis dans cette merde, je... comprends putain que ce mot sort avec difficulté, la nécessité de se nourrir.

Et dieu que je t'envie d'être capable de te limiter à des macchabées, des cerfs ou des chiens. En ce qui me concerne, je perd totalement le contrôle et me retrouve littéralement à chasser comme un putain de camé à la chaire fraîche.

▬ P'être que je devrais essayer ouai... Pensif, sur tes dernière paroles. Si t'accepte le risque qu'on ruine ton super canapé - à d'ailleurs tu l'as volé où celui-là ? Jveux bien tester ta méthode.

J'espère que t'as du stock. Voir même quelque chose de plus fort. La bière ne fait pas long feu et le verre de la bouteille vient claquer sur la table basse, sonnant creux.

▬ ptain elle est où la touche X ?!