T'as pas vu Lexie depuis trop longtemps à ton goût. C'est pas d'sa faute, c'est pas d'la tienne non plus. Vous étiez juste des gens surbookés par votre taff, et en plus de ça, vous étiez un peu du genre, l'un comme l'autre, à vous tuer au travail. Alors quand elle t'avait envoyer un message, t'avais un peu sauter sur l'occaz, en t'excusant d'être un ami pourri par la même occasion, et de pas prendre de ses nouvelles plus souvent. La vie pendant les classes te manquait un peu, si t'étais honnête. Tout semblait un peu plus facile et les jours ne filaient pas comme si c'était des secondes.

T'arrives au stand de tir avec un peu de retard, mais d'un certain côté si les gens savaient conduire t'aurais été à l'heure. Il te faut quelques instants pour arriver à votre lieu habituel. Ton prénom, en premier, « Lexie ! » et des bras qui t'entourent. Un rire s'échappe de tes lèvres alors que tes bras l'enserrent aussi fort que possible, riant encore un peu. Sa joie est communicative, enlève les doutes, les soucis et les quelques enquêtes qui tournaient encore à mille à l'heure à l'arrière de ton cerveau. Tout s'efface le temps d'un instant.

L'étreinte se termine et tu la regardes se préparer, déjà impatiente de tirer : on la refait pas. « Pas grand chose. Des enquêtes, des délits mineurs. Rien de nouveau sous le soleil quoi. » Ta parole est accompagnée d'un haussement d'épaules nonchalant. Tu entoures ses épaules de ton bras et tu t'appuies sur elle, attentif à la cible devant vous. Tu vas l'observer un moment avant de tirer à ton tour. « Je te préviens, je suis rouillé. Va me falloir quelques tirs avant de retrouver de la qualité. » Tu sors rarement ton arme en service, à vrai dire, et ça fait longtemps que t'es pas entraîné avec un vrai fusil. « On devrait faire ça, la prochaine fois, aller faire quelques vrais tirs. » Un sourire en coin et tu lâches ses épaules.  « Celui qui perd paie sa tournée ! » Et t'as presque envie de rajouter et tous les coups sont permis, mais niveau sécurité, c'est pas trop trop ça. Donc tant pis, vous jouerez dans les règles.

Et c'est bien dommage.

Elle te fait part de son état et de son inquiétude, à demi-mot, à demi-voix, et ton sourire se fane légèrement, tes lèvres s'abaissent, s'entrouvrent pour parler, pour lui demander. T'es soudain inquiet. Lexie et toi, c'est une amitié où on voit que les bons côtés, rarement les mauvais. Car, elle comme toi, vous étiez des électrons libres, amoureux de la vie, et heureux par la simple présence des êtres aimés.

Rien de grave.
— Assez pour que tu m'en parles.

Et elle se prépare à tirer, et tu protèges des oreilles, ton regard quittant la cible, glissant sur ses épaules détendues, son regard concentré. Chargeur vide, elle se tourne vers toi, fière d'elle, et tu ricanes en passant ta main dans ses cheveux, rejetant sa frange en arrière, emmêlant ses mèches blondes. « Prends pas la grosse tête, ma belle, on sait jamais, j'suis peut-être pas tant mauvais ! » Et tu te mets en place. Inspiration, expiration. Et tu tires, calmement. Tête, torse. Pas aussi précis qu'elle, mais ça fait le taff. « Ah ! Tu vois ! Pas tant mauvais que ça ! J'ai pas tout perdu encore ! » Tu recharges calmement ton arme alors que sa voix arrive à tes oreilles.

Tu acquiesces légèrement, te tournes vers elle et t'appuies sur la paroi à côté de toi, bras croisés sur ton torse. Tu réfléchis un instant avant que ton regard ne trouve le sien. « Mh. Ça dépend les raisons, ce qu'il a vécu, ce qui s'est passé. S'il s'est pas entièrement transformé en quelque chose que tu détestes, pourquoi tu f'rais quelque chose ? Ça reste ton pote, s'il a changé, faut peut-être essayer de le comprendre d'abord, avant de dire que tu veux plus en entendre parler. » Ton regard abandonne le sien, se perd sur l'arme posée devant toi. « T'sais, j'suis pas un bon exemple, parce que j'suis capable d'abandonner tout ce en quoi je crois pour... quelques personnes. » Parce que t'as une liste, une toute petite liste de personnes, qui, si elles t'appellent en pleine nuit et te disent j'ai tué quelqu'un, ah, Rory, tu s'rais le genre de mec à aller cacher le corps, et à mettre le meurtre sur le dos de quelqu'un d'autre. Alors Rory, Rory, Rory, t'es carrément pas un mec bien.

Elle est anxieuse, déconcentré, elle pense à autre chose, et ça se sent, ça se voit, et t'aimes pas ça. C'est rare, qu'elle rate ses tirs, qu'elle manque sa cible. Et tu l'écoutes attentivement. T'es toujours un bon exemple, Rory. Et tu secoues la tête de gauche à droite. Oh non, non non non, et tu le sais, et qu'elle n'ose pas le dire ou qu'elle ne s'en rende pas compte est quand même un peu inquiétant. Parce que t'es pas l'exemple à suivre, Rory, que ce soit au taff ou dans la vie de tous les jours.

Et elle explique. Mais. Et c'est ce mais qui la perturbe, ce petit mot si lourd de sens. Mais. Et ça peut être toutes les raisons du monde, mais ce petit mot, ce petit mot les envoie toutes balader. Et c'est normal. Et t'attends, et t'écoutes, et tu ne bouges pas, et tu attends qu'elle finisse, qu'elle s'explique, qu'elle essaie de mettre des mots sur ce qu'elle ressent.

T'as abandonné la cible et l'arme depuis un moment, t'es plus assez concentré pour tirer, et t'as plus envie d'essayer, dans tous les cas. Elle as pas vraiment besoin de ça, en ce moment, où du moins, tu penses qu'elle n'a pas besoin de ça. Elle s'approche de toi, et ton bras vient entourer ses épaules, la serrer contre toi. Tes doigts viennent serrer sa nuque, la frotter doucement avant que tu ne murmures : « Bon allez viens, on sort de là. » Parce que c'est pas l'endroit, parce que y'a certains regards qui vous observent de loin, quelques murmures que tu aimerais lui éviter, quelques rumeurs que t'aimerais faire taire avant qu'elles ne commencent.

Alors ton bras reste autour de ses épaules, et tu l'attires vers la sortie, après avoir ramassé son sac et le tien. A l'extérieur, le soleil vient faire plisser tes yeux, mais ton bras reste bien sur ses épaules, l'empêchant de partir, de s'enfuir. « Mmh. Tu veux qu'on se pose où ? » Un endroit à l'extérieur serait mieux pour discuter, de préférence pas un café. Un parc, peut-être ? Ou plutôt chez elle ou chez toi, de façon à ce qu'elle puisse laisser tout ce qu'elle veut s'échapper. « C'est toi qui décides, mais on retourne pas là-d'dans, j'suis pas trop sûr que ce soit dont t'as besoin, ma belle. » Et un léger sourire, accompagné d'un clin d’œil, un peu pour détendre l'atmosphère, alors que ton bras se resserre sur ses épaules, un peu pour lui dire que t'es là.

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Un mot chuchoté que tu balayes d'un geste de la main. Il n'y a même pas besoin de dire merci, tout te semble normal, et tu aimerais déjà la secouer dans tous les sens pour lui faire comprendre qu'il n'y avait pas besoin de tout ça. Votre amitié est au-delà de ça. Très rapidement, elle chasse l'idée même de passer par chez elle. Elle prend les devants, proposes un café puis un parc et tu hoches la tête, ton bras toujours sur ses épaules.

La file d'attente n'est pas si longue, et avec ton frappuccino dans ta main libre, son café dans la sienne, vous louvoyez entre les passants pour trouver une place à l'ombre d'un arbre dans un parc. Allongé dans l'herbe, tu observes les quelques nuages blancs qui vagabondent dans le ciel si bleu. Et le silence, coupé par des rires enfantins un peu plus loin, par des bavardages, des rires d'adultes et quelques échos, au loin, des voitures qui sillonnent les rues comme ses pensées sillonnent.

Et enfin, les mots interdits. Ils te coupent la respiration, glacent tes membres engourdis. C'est le crime qui demande expiation.

Une inspiration, une expiration. Tu te redresses, désormais assis en tailleur dans l'herbe. Tes lèvres s'entrouvrent, se referment. Elle, comme toi, vous ne devriez pas en parler. Au moindre doute, votre travail vous dit de suivre votre instinct, cet instinct que vous avez appris à comprendre, à entendre. Et pourtant des fois, comme maintenant, vous aimeriez le faire taire. « T'as des preuves ? » demandes-tu alors, après de trop longues minutes de silence. « Sois pas irrationnelle, travaille sur les preuves. Laisse tomber ton instinct, on s'en fout de ça. Est-ce que t'as des preuves ? » Quelque chose, un sous-entendu, une parole, une action, un comportement différent. Quelque chose de tangible. « Si t'en as pas, laisse tomber. Te lance pas là-dedans. C'est pas à toi d'enquêter sur ça. » Un silence. « Je le ferai moi. » Pour la soulager, ou au contraire, pour lui faire tout expier.

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La violence de son refus te fait froncer les sourcils ; sa main s'accrochant à ton bras, sa panique... tout, tout te semble désespéré. Ta main vient attraper la sienne et tu la tires vers toi : « Est-ce que t'as des preuves ? » Et ta voix se fait violente, grondante, et presque, presque terrifiante. Elle continue, panique, et tu te défais de son emprise, les sourcils froncés. « Alors quoi, Lex ? Dans le pire des cas il l'a fait, et quoi ? Tu s'rais pas la première à dire que ce n'est pas d'sa faute. Et même si c'est d'la légitime défense, un bon avocat et c'est bon, il part avec un sursit. C'est pas la première fois que j'me jette dans une enquête avec une épée de Damoclès au-dessus d'la tête, et tu le sais très bien. » Ta mâchoire se serre alors que ton regard reste planté dans le sien. Le silence se fait long et pensant.

Ta langue claque contre ton palais alors que tu détournes le regard, la colère montant de plus en plus. « Tu le, ou la, j'sais pas, défends déjà corps et âme... mais en attendant, où sont les preuves ? Tu sais, ce truc où tu peux montrer, prouver à tous que quelqu'un a été tué. » Et la colère monte, monte, monte. « Si c'est juste parce qu'il s'est mis dans une merde pas possible, ou qu'il s'est retrouvé au mauvais endroit au mauvais moment ou si c'est juste qu'il est parti dans un gang et que t'es persuadée qu'il a dû le faire... ça a aucun poids, ni pour un mandat, ni pour une condamnation, ni pour qui qu'ce soit. Où sont tes preuves, Lex ? Si t'en as pas... arrête de te prendre la tête. Et si t'en veux, laisse-moi enquêter. » Et tu rajoutes, après avoir calmé les battements de ton cœur, après avoir calmé ta colère : « Qu'est-ce que j'risque ? La mort ? C'est pas mon taff de base, ça ? Je risque pas ça à chaque fois que j'enquête sur un meurtre, ou sur un gang ? C'est mon taff, Lex, c'est littéralement ce que je fais. » Et ta main retrouve la sienne, comme pour la rassurer, comme pour la calmer.