une ancienne nostalgie
un regard perdu sur la belle Iphigénie
et tu observes en silence
avec un peu de méfiance
cette si belle silhouette
qui a fait tourner des milliers de têtes

Iphigénie
buste adoré
Iphigénie
cette qui t'étais destinée
Iphigénie
la sacrifiée

et ton regard se perd sur le buste en marbre
dans une danse presque macabre
et ton sourire apparaît
comme si tu la connaissais

et tout se stoppe, tout s'arrête
et tu as envie qu'entre tes lèvres danse une cigarette

« Sacrifiée par son propre père pour une guerre qui a dévoré bien nombre de héros. Terrible, cette destinée, non ? »

tes perles océans restent agrippées à cette statue
alors que ton visage se tourne, détendu
clignement de paupières
et tu observes ta nouvelle coéquipière
pour la journée
pour quelques instants volés

« Merci de m'avoir accompagné, cela faisait un moment que je voulais voir cette exposition. »

celle sur les grands guerriers aimés
celle sur les grandes prêtresses immolées
celle sur les grands dieux détestés
celle sur les anciens mythes idolâtrés

terribles, tragédies, dramatisme,
minutie des drapés
guerres, violences, traumatismes
gloire aux rescapés

tes cordes vocales vibrent, hument lentement
acquiescent presque tendrement
tu restes figés sur ce marbre trop froid
alors que tu sens son regard sur toi

tes pensées vadrouillent et ton ouïe fine remarque à peine
cette question qu'elle dégaine

« Non. »

et tu pourrais t'arrêter là, l'abandonner et continuer
et tu pourrais fermer les yeux ici, te détourner et la laisser
mais la journée n'est pas finie
et devant toi reste la belle Iphigénie
et peut-être aussi que la curiosité
ce vilain petit défaut
te pousse à demander
pourquoi elle t'accompagnerait voir ces grands héros

« Mais cela me ferait plaisir de savoir. »

plaisirs
ceux que tu ne cesses de saisir
depuis ta naissance
comme de vieilles connaissances

tes pas te mènent ailleurs, vers une autre statue, une autre toile
vers une autre oeuvre d'art théâtrale

« Aurais-tu quelque chose à me demander ? »

tu n'es pas celui vers qui on se dirige
lorsque l'on a besoin de quelque chose
après tout, tu n'es qu'un virtuose
et même si tu en as le nom, tu n'es pas un prodige

rire tendre qui s'échappe de ses lèvres
et les regards convergent
celui des autres, et puis le tien
et tu abandonnes les héros troyens

elle semble surprise
qu'on te convoitise
un peu moqueuse
que tu puisses faire quelques besognes odieuses
mais tu attends, attends, attends
murmures presque trop lentement :

« Ça arrive, oui. »

je trouvais drôle que tu te trouves face à face avec ta propre mort.
et tu observes Hector
celui qui est de Patrocle l'assassin
celui qui t'a amené à ta fin

tu ne peux qu'acquiescer
d'un sourire léger

« C'est l'idée de la destinée qui me plaît. De la fatalité. On est tous amené à périr. Est-ce qu'on périra comme Patrocle, comme un sacrifié, ou plutôt comme Hector, un héros parmi les siens... ou encore Hercule, assassin de sa propre famille, rendu fou par les dieux. Ou Achille... dont les dieux ont dû calmer la colère car Troie n'était pas censée tomber à l'instant où il était prêt à la dévaster. La Fatalité, Vicky, elle est si tentante qu'on aimerait jouer avec pour voir si on peut la contrôler ou lui échapper. Vais-je finir comme lui ? Et si c'est le cas, est-ce qu'on se souviendra de moi ? »

un regard qui glisse vers la jeune femme
qui pourrait dévorer n'importe quelle âme
et tu ris un peu, doucement
juste à peine, silencieusement