La ville est bruyante, d’un orchestre permanent où les musiciens jouent tous d’une partition différente : Une cacophonie aussi agréable qu’un requiem de tronçonneuses, composée exclusivement de gens bruyants et des sons de la vie active, instruments les plus harmonieux, cela va de soi. Sybil ne s’en soucie que très peu, les ignore d’un air fort ennuyé, comme à son habitude. Elle n’aime pas particulièrement les passants, qui ne s’aiment sans doute déjà même pas entre eux, de toute manière. Ils sont pressés, ça se bouscule, comme si le monde entier se faisait un plaisir de lui rappeler le pourquoi du comment elle n’aime pas sortir la journée. Une sorte de blague, sans doute, sa mémoire n’est pourtant pas si mauvaise- comment oublier les joies des grandes villes ? Heureusement, madame n’est point gênée de les bousculer en retour, quitte à attirer les regards offusqués des lapins en retard.

Vivement l’arrivée au gym, au moins la seule musique sur place sera réellement musicale, et il n’y aura pas l’entièreté d’une ville au complet pour lui marcher sur les chaussures. Le seul autre moment qui s’y compare, c’est la nuit. Ah, la nuit… où la seule chose qui se passe avec des chaussures, c’est qu’elle les recrache. Peu appétissant.

Mais que disions nous ? Ah, oui. Le gym.

Arrivée sur place, elle scanne la pièce comme une bête sauvage qui observe tranquillement ses alentours, à séparer les inconnus (ennemis à éviter) et ceux qu’elle est venue rejoindre aujourd’hui (pas des ennemis à éviter). Si elle ne vient qu’en paix et non en chasse, c’est plus fort qu’elle de rester sur ses gardes, sait-on jamais. Néanmoins, ce n’est que de courte durée, car elle voit Jack, plus loin, accompagnée de ses vêtements aux multiples publicités, qu’elle ne tarde de rejoindre après s'être préparée comme il se doit.

- Jack ! T’es là depuis longtemps ? Qu’elle lance de vive voix. J’espère qu’t’es pas déjà épuisée alors qu’y’en a un qui n'est même pas encore là !

Elle se doute bien que ce n’est évidemment pas le cas, à moins que Jack ait décidé de venir des heures à l’avance pour aucune raison. Ce serait quand même vraiment idiot. Et Jack n’est pas idiote. Elle commence à s’échauffer, pas très loin, histoire de pouvoir discuter sans hurler- même si honnêtement, bon. C’est Sybil, quoi.

- T’as des nouvelles de Fen ? Il est mieux de n’pas nous avoir lâchées. Ou alors il est bloqué dans le banc d’anchois à chaussures cirées qui prennent toute la place dans le chemin. C’t’une option.

Même si honnêtement, tabasser les anchois pour sauver Fen d’une asphyxie certaine qui lui volerait une décennie de son précieux temps à se faire bousculer serait tout de même divertissant. À sa carrure, c’est somme toute logique de penser que les gens éviteraient de le bousculer… mais on voit de tout, sauf des points de QI, dans les rues de Los Angeles. La logique n'est pas à prendre en compte, rien ne serait bien étonnant.

Une chaise ? Le péché s’étire encore, autant que son sourire aussi perplexe qu’amusé. Vraiment des clowns, ces protecteurs. Ça ose dire que leur but principal c’est sauver les si gentils petits humains fragiles des vilains vilains monstres, alors que ça se balade avec des chaises comme arme de prédilection ? Sybil n’est pas certaine si elle doit rire ou se frustrer de voir que ça n’essaie même plus d’avoir l’air sérieux chez les wannabe super-héros, ou s’ils les prennent vraiment pour des cons, à vouloir les tabasser avec la première chose qu’ils ont vu dans leur salle à manger. À voir les blessures de Jackie, il n'a pas l’air de rigoler, cependant. Enfin. Contre Jackie, tout le monde rigole, mais certes.

Elle parle bas, si bas, au plus qu’elle le peut, faisant très attention pour ne pas dépasser la limite de ce que les oreilles attentives pourraient capter. Sybil n’aime pas parler monstreries en public. Y’a trop d’oreilles encore accrochées à leurs têtes originelles.

- Bah au moins il devait pas être tout seul à rigoler, ça a le mérite d’être original. ‘Fin, pour quelqu’un avec ce type de goût douteux, il a de la force, ce con.

Ça, on ne peut pas lui enlever, apparemment- même si pour le coup, elle est pas certaine de qui pourrait bien avoir assez d’entraînement avec une chaise. Une chaise. Le menuisier lui-même, de génération en génération de fiers porteurs de chaises ? Mouais. Son air moqueur indique fortement que “original” n’est ici pas un compliment, étonnant. Un léger rire s’échappe de ses lèvres, alors qu’elle reste aux aguets, observant d’un œil mauvais une quelconque personne qui voudrait s’approcher un peu trop du p’tit monstre et d’elle-même pendant leur conversation.

- Leur fournisseur a été mangé, pas le choix d'aller gratter un sponso chez Ikéa ? Le premier connard qui se ramène avec sa lampe de chevet, je lui fais manger l’ampoule.

Son invitation est tentante, il faut l’avouer. Elle ne sait pas trop ce que leurs pouvoirs pourraient bien mettre en scène ensemble- un protecteur qui rigole comme un fou, la bave qui lui sort de la bouche alors qu’il saute, s’enrage, frénétique et sauvage? Soit ça promet d’être marrant, soit les différents partis devront tous aller en thérapie par la suite, c’est honnêtement difficile à prévoir. Ça vaudrait quand même le coup, non, Sybil ? Ce serait quand même toute une histoire à raconter à Lex.

- Bah écoute, pourquoi pas, Jack ! Faudra voir si j’suis dans l’coin à ce moment-là. Le boulot m’emmène pas mal partout ces derniers temps, je verrai avec Lex et on s’en reparlera. On trouvera un moyen d's'amuser comme il se doit.

Son ton se relève, énergique, comme pour écraser les potentielles suspicions des gens qui pourraient se demander pourquoi les demoiselles chuchotent dans leur coin, comme quoi c'est juste une conversation d'activité entre potes... ce qui est le cas ? En quelque sorte. Pas que qui que ce soit en ait réellement quelque chose à faire, mais Sybil a appris depuis beaucoup trop longtemps que personne ne se mêle de ses affaires : Personne. Y’en aura toujours un pour s’imaginer absolument tout à partir de rien du tout, à voir le mal là où il n’y en a pas… et ce, même si mal il y a pour de vrai, certes.

Elle fronce les sourcils, ses échauffements terminés, prête à tout gagner, mais leur tricycle manque encore une roue. Où est Fenrir ? Finalement, aller péter la gueule aux passants dehors n’était peut-être pas une si mauvaise idée que ça.