Elle ressent le malaise, la peur, qui glisse du front de l’homme alors qu’Alexeï fait ce qui a gravé sa réputation dans les mémoires de ceux qui le croisent; l’attitude du péché scandalisé par chaque détail qui hurle pour un café dont il n’a vu la moindre goutte. Attitude qu’elle encourage d’un hochement de tête et d’un regard désapprobateur envers la cause des plaintes de son compagnon, lorsqu’on ne lui demande pas carrément de lui faire changer de comportement, ce qui ne se passe pas exactement comme ils veulent. À moins qu’ils voulaient se faire hurler dessus, ce qu’elle ne… non, ce qu’elle juge, soyons honnêtes. Elle n’est pas toujours du côté d’Alexeï car il a raison, honnêtement elle s’en fiche un peu, mais surtout car c’est indéniablement drôle. Le milieu de la mode est fort ennuyeux. Celui-là l’est aussi.

Trop de gens dans une même pièce qui croient être le centre du monde. Il faut se divertir comme on peut. Un peu de drama fait toujours plaisir, et Sybil ne va pas dans la modération.

Cependant, au vu de la situation, la Colère analyse et juge. Oui, oui, ils sont brillants. Comme une partie mentale d’échecs en quatre dimensions. Les réactions qu’ils sortent de celui-ci sont… fort intéressantes. Il a peur, il hurle pour mettre le blâme sur un stagiaire, en contrôle seulement d’apparence, un leader qui répugne ses troupes. Un lâche, un froussard, celui qui tient le bâton pour frapper les bêtes sans se douter qu’elles vont un jour cadrer sa tête au mur. Ce type de personne qui croit être en contrôle, jusqu’au moment où le danger frappe à sa porte, où ses péchés viennent le tourmenter; Ceux-ci sont les premiers à vendre leur âme au diable si c’est pour protéger leur misérable vie. Fort intéressant.

Si Delilah ne lui fait pas peur en apparence, son avis est important, et ça paraît. Il veut son approbation, son support, il veut être important. “Si j’ai gagné, c’est grâce à lui, wouah, il est trop cool, je vais lui donner tout mon pouvoir et mon argent”, sans doute qu’il s’imagine à la tête du pays après qu’elle ait tout gagné, imagination fertile pleine de confettis, comme s’il ne se doutait pas que tout le monde dans la pièce souhaite le défenestrer. C’est tout autant impressionnant de voir à quel point le calme professionnel semble être ancré au fond du crâne de cette pauvre Delilah. La pauvre, oui. Sybil l’aurait frappé au moins trois fois déjà pour avoir osé les jeter dans un placard à balais.

Mais Sonny revient, et là, ça commence à devenir intéressant. La Colère réfléchit, oui, il faut un plan. L’engrenage tourne, elle écoute Delilah. Elle n’a pas totalement tort, mais Sybil sourit.

- Forcer une transformation est trop risqué, personne n’importe plus que lui-même, du peu que j’en constate. Ce sont les premiers à trahir pour sauver leur peau. Cependant…

Elle fait attention pour ne pas parler trop fort. Trop d’oreilles peuvent écouter.

- À voir ses réactions pour un placard et un café, si on lui donne l’impression qu’il est en danger, que nous sommes sa protection, le camp qu’il doit écouter… il suppliera à nos pieds d’être transformé. Un agenda enfoncé au fond de la gorge ça passe mieux avec un verre d’eau.

Juste, il ne faut pas trop se questionner sur l’origine du verre. Et de l’eau. Le sourire de Sybil s’efface, mais son ton de voix est fort amusé, bas, mais amusé. La fête peut enfin commencer. La vraie politique, ça l’ennuie. Elle jette un regard à Alexeï.

- De toute manière, il a l’air d’adorer ton côté théâtral. Une petite représentation privée devrait le réjouir.

Du haut de sa taille de colosse, Sybil se déplace en chat, prédateur caché sous sa propre peau dont les pas ne s’entendent pas. Delilah partie de son côté, eux en direction de… bah de la direction.

Direction qui ne s’attend sans doute pas à une petite visite improvisée, ce que la colère prend très au sérieux; le timing est important. L’ascension aussi. Les caméras ? Oui, ça, aussi. Elle hoche la tête, s'exécutera lorsque le cling sonnera, mais ne dit le moindre mot. Un chat, on a dit. De toute manière, elle réfléchit. Enfin, à moitié, le reste de son cerveau observe partout comme le bon cerbère qu’elle est.

Cling.

Mais pourquoi trop réfléchir, Sybil ? N’es-tu pas bien meilleure en spontanéité ? Oui. Mais c’est important. Le timing, l’effet dramatique… il faut y penser. Comme au théâtre ! Mais nous ne sommes pas au théâtre. Il faut le convaincre, peu importe la manière, et… ah, la secrétaire. Bon, c’est convainquant. Sybil ne bronche pas, trop occupée à remodeler les caméras locales, histoire d’éviter que la sécurité ne soit mise au courant de leur petite ascension. Enfin, sauf celle de la secrétaire, du coup.

Ce sera mis sur la faute de la coupure de courant qui doit arriver, nul doute.

Alexeï fait son discours, pendant que Sybil, elle, s’est approchée du bureau, silencieuse, fixant le directeur d’un air semi-amical, semi-absolument-terrifiant. Le sourire sur les joues, elle fait les cent pas, observe le moindre de ses mouvements, ses réactions; comme prévu, un lâche opportuniste. Bon, il ne sera clairement pas son enfant préféré… supposant qu’il accepte d’être des leurs. Lorsqu’il lui demande de lui montrer, elle ne sourit que davantage, posant une main amicale (Soyons honnêtes, pas vraiment.) sur l’épaule du directeur, dont elle s’est rapprochée, pour l’observer de plus près, pour éviter que quoique ce soit ne puisse arriver. Mais elle attend, un léger moment, un tout petit instant…

… Que le courant explose, que la pièce devienne sombre. Elle lui lâche l’épaule.

Dans la noirceur, il pourra entendre des craquements, près, beaucoup trop près. Des sons que n’importe qui de normalement constitué ne reconnaîtrait pas, laissant l’imagination croire au pire; des os qui se cassent, se déforment, de la peau qui se déchire, les ombres autour de lui s'agrandissent, prêtes à l’engloutir en entier, le toisant de bien plus haut maintenant.

- Au moindre son qui pourrait alerter qui que ce soit, ta gorge va rejoindre ta secrétaire. Nul besoin de crier cependant, n’est-ce pas ? Nous sommes entre amis.

Lorsque la lumière revient, c’est un visage méconnaissable, à quelques centimètres du sien, qui lui sourit, le fixe de ses sept fissures rouges. Elle repose sa main… enfin, sa patte, sur son épaule. Amicalement, toujours, hein. (Non, toujours pas.) Les centaines de voix mélangées se battent pour lui échapper des poumons, afin d’expliquer l’entente voulue.

- Nous avons un marché. LIBRE à toi de refuser, si TU souhaites que ton âme se libère de ta CAGE THORACIQUE. Mais ce ne serait pas AVANTAGEUX, non ? Non, non, nous avons BIEN PLUS à offrir. Le pouvoir d’être encore plus que ce que tu es déjà, plus fort et résistant que tous ces FAIBLES auxquels tu peux penser, et bien plus encore, avec une éternité pour en PROFITER, pour agrandir tes toiles d’influence sans que le temps ne te POURCHASSE… et bien plus encore.

La colère se redresse, mais reste toujours aussi près, histoire de le mettre bien mal-à-l’aise. Ou de le mettre à l’aise avec la familiarité, honnêtement, c’est difficile de lire entre les lignes de son attitude, entre la volonté de faire peur et de mettre en confiance. Peut-être un mélange des deux ? Mystère.

- Et NOUS ? Nous avons besoin ton plateau, tes journalistes. Vos VOIX pour les NÔTRES. Enfin… pour la TIENNE aussi, ça va de soi, non ? C’est la moindre des choses en tant qu’un des NÔTRES.

La bête se penche, les pattes sur son bureau, et l’observe. Comment pourrait-il refuser ? S’il a à ce point envie de mourir… ce qui serait peu probable, si ? Ce serait bien peu avantageux pour l’opportuniste.

Sybil soupire. Vraiment, perdre connaissance quand elle parle, comme ça ? Quel culot ! Quel manque de respect ! Qui l’a élevé, vraiment, un opossum ? Franchement. Elle aurait dû s’en douter qu’il ne serait pas à la hauteur, à l’avoir vu agir plus tôt… quoiqu’il en soit, ils ont besoin de lui; ou plutôt, de son rôle, de ce qu’il pourra apporter aux monstres- Supposant que monsieur coopère. Ce qu’il n’aura pas trop le choix de faire s’il a envie de garder un nombre raisonnable d’os en place. Dommage qu’ils ne puissent pas simplement l’emmener avec eux pour superviser sa transformation, la sécurité est déjà en train de paniquer, les avoir sur le dos pour accusations de kidnapping n’est pas tentant.

- On gère, on GÈRE, partez !

Il faudra revenir plus tard. Ou autre. Pas le temps d’y penser maintenant. La belle au bois dormant, ou plutôt le morse au bois dormant, doit tout d’abord recevoir le cadeau dont il était tellement ému qu’il s’est évanoui. Sybil prend sa réponse pour un “Oui je veux devenir un monstre!”, ce qu’il n’a pas vraiment dit, mais il le dira plus tard. Sans doute. S’il survit.

Une morsure fera l’affaire; quelques dents seront suffisantes, cachées sous une manche. Histoire de ne pas trop alerter la sécurité, il a peut-être juste croisé un chien qu’il a un peu trop embêté. Ça fait sens. Il va s’en remettre. Maintenant, partir. 10 minutes, qu’il a dit ? Ça fait combien de temps, là ? Moins de 10 minutes. Sybil agit vite. Tout va bien. Réfléchir, réfléchir. Comment sortir ?

La fenêtre est bien jolie, non ? Oui, belle belle fenêtre. Ce serait dommage qu’elle soit cassée. Sybil observe vite fait dehors. Oui, ça va le faire, peut-être un peu mal aux pattes mais ça se gère. La bête tape la fenêtre, la fracassant d’un coup de poing bien placé, avant de se tourner vers son compagnon, qu’elle prend en princesse- le tenant bien, protégé par ses bras, pour qu’il ne soit pas blessé par quoique ce soit, elle ne se pardonnerait pas. C’est à elle de subir l’impact.

- Accroches toi BIEN, Lexi ! On dégage !

Hop.

L’impact qui ne sera sans doute pas très agréable, aller se cacher dans les ruelles après non plus, pour redevenir humaine- mais ça n’a pas d’importance. Le plus important, c’est que la mission ne fut pas un échec, et qu’aucun bâtard de protecteur ou de la sécurité ne les trouvera.

Enfin, “succès”... il faudra voir avec leur nouveau monstre plus tard.