Griffes acérées, crocs trop nombreux, ossatures impossibles et regards menaçants défilaient à l'entrée du grand bâtiment désaffecté. Véritable carnaval alors que tous s'affairaient à gonfler la poitrine et à se jauger du regard. Qui sera le plus gros, le plus puissant, le plus effrayant. Concours d'ego ou tentative d'intimidation, les monstres n'en étaient pas moins tous d'anciens humains ; et ce genre d'occasions sommes toutes relativement rares en étaient le parfait exemple. L'excitation était palpable, comme un fil tendu qui ne demandait qu'à rompre.

Rassembler tous les monstres les plus puissants au même endroit, n'était-ce donc pas une merveilleuse idée ? Que pouvait-il mal se passer, après tout.

Au cœur du bal des monstruosités, Alexeï avait choisi de se vêtir de sa propre peau d'humain et d'un onéreux trois pièces aux reflets argentés. Frêle et pâle, détonant dans ce paysage surnaturel, il affichait un air d'ennui régalien. Ceux qui le fréquentaient ne s'y trompaient cependant pas : son regard polaire balayait régulièrement la salle, s'arrêtait sur certains visages, adressait des sourires carnassiers à d'autres. Il notait mentalement qui était présent de qui ne l'était pas, depuis le cœur de ce cercle de Péchés qui s'était naturellement formé au centre de la pièce. A ses côtés, une Sybil toute en muscles, en puissance guerrière et en irritation qui ne demandait qu'à exploser. Il ne lui aura fallut qu'un claquement de langue agacé et un ordre à la volée pour fermer le clapet d'un Gourmandise un peu trop entreprenant.

D'un désintérêt affiché et caractéristique, Paresse écoutait avec une attention pourtant bien présente, son regard incisif fixant longuement le duc des horreurs.

Gourmandise n'était peut-être pas Roi mais nulle Reine n'était présente ; si l'on devait commettre l'affront d’exclure celle à ses côtés. Ils avaient tous senti, et quand bien même Duke se couronnait lui-même messager du palais des monstres, Alexeï était sceptique. Massacrer les humains jusqu'aux derniers n'avait jamais fait parti de ses motivations. La multitude de croassements indignés qui éclatent lui confirme qu'il n'est pas le seul à garder la tête froide. Il ne peut empêcher un rictus ironique d'orner ses lèvres lorsque la toute nouvelle Envie les survole, mais se garde bien tout commentaire. Une démone de la suite du duc de la Gourmandise ne s'en prive cependant pas, ajoutant à l'excitation générale son appel au sang et au massacre.

En face de lui, un mouvement attire son regard prédateur, un murmure attise sa curiosité. Le visage de la jeune femme qui semble tant bien que mal essayer de disparaître dans la masse lui apparaît brièvement. Familier. Son regard fixe longuement la silhouette, croise un instant son regard, peut-être. Des émotions contradictoires le traversent, mais ce n'est ni le lieu, ni le moment. Il ne laisse rien paraître sous son costume et son attitude décontractée.

C'est avec un calme glaçant qu'il décide de finalement prendre la parole, chassant ses pensées parasites.

- Bien que tout cette situation soit parfaitement délicieuse pour nous tous, je n'en doute point, commence nonchalamment Paresse, ridicule figure de chair au milieu des monstres dont l'attention se braque immédiatement sur lui, n'oublions pas qu'une extermination totale ne ferait que nous desservir sur le long terme, il assène d'un sourire parfaitement commercial. Un bon berger sait prendre soin de son troupeau pour mieux en savourer les bienfaits.

Ses doigts tapotent en rythme son bras alors qu'il s'avance de quelques pas sous le regard prudent de Sybil.

- Plutôt que détruire : soumettre. Poser les premières pierres de notre royaume. Museler les médias en notre faveur. Corrompre la police et les politiques. Prendre le contrôle de la ville dans l'ombre pour mieux festoyer à la lumière du jour, il dépeint avant de laisser s'écouler un silence suspendu. Tout cela ne sera possible, cependant, que lorsque nous aurons réussi à chasser hors de notre territoire les Protecteurs. Profitons de leur faiblesse pour leur porter un nouveau coup qui les forcera à la retraire. Ne commettons pas l'erreur de les sous-estimer, il termine tranquillement avec un nouveau sourire pointu, bien conscient que ses derniers mots pouvaient être lus de plusieurs façons.